• Légendes et Chroniques de Mélorah : La Guerrière et le Devin

     

    Prologue : Au sujet des yeux

    Sur les terres de Mélorah, la nature des personnes se reconnaît par leur couleur des yeux. Il existe huit natures : brun ou noir pour les humains (ou guerriers) ; bleu pour les Magiciens et les Sorciers ; rouges pour les Vampires ; vert pour les Elfes ; roses ou violet pour les Fées ; orange pour les Prêtres et les Devins (et les Exorcistes) ; blanc ou gris pour les Fées-Fantômes et jaune pour les Magiciens-Dragons (ou les Chasseurs de dragons). Il est possible de changer de nature en s'y consacrant, de ce fait, les yeux deviennent vairons. La ou les nature(s) se transmettent très souvent génétiquement.

    Les Fées-Fantômes sont des petites fées vivant dans les cimetières ou près d'un lieu d'enterrement. Elles veillent sur les morts, les accompagnent au Purgatoire et gardent les tombes et les sépultures.

    Les Exorcistes sont les ancêtres des Prêtres et des Devins. C'était une profession très dangereuse que seule une poignée de personne était capable d'exercer.L'Exorcisme était principalement une science occulte, les Exorcistes avaient pour passe-temps l'appel des démons, des défunts et des anges ainsi qu'à la possession de corps étrangers. Il n'en existe plus aujourd'hui. 

    Les Chasseurs de dragons sont les ancêtres des Magiciens-Dragons aussi appelés Mages-Dragons. En fait, ils ont changé de nom suite à un changement de profession. Autrefois ils chassaient les dragons, mais depuis que cette activité est interdite, ils se sont spécialisés dans l'élevage, les soins et l'art de chevaucher les dragons.

     

     

     

     

     

    Chapitre 1 : l'Auberge des Cents Chants

     

    Depuis la fenêtre de la calèche, je vois ma destination. Le ciel est loin d'être pluvieux, comme toujours, depuis la nuit des temps. Enfin, le véhicule s'arrête. Me voilà à Walandriah, la cité de la musique ! Je passe les grandes portes en or de la ville gardée par les soldats en armure blanche et m'émerveille devant la beauté de cet endroit. Les rues sont pleines à craquer. On voit à chaque coin de maison un violoniste, une chanteuse, un pianiste, un guitariste et même quelques talentueux flûtistes. J'aperçois le château aux murs de cristal qui reflète les éclats du soleil. Mais moi, je viens pour une chose précise : l'auberge la plus connue de toute la Terre de Mélorah : l'Auberge des Cents Chants. Un endroit respirant toujours la joie et le positif. De plus, j'ai appris que le patron est très sympathique et que la chanteuse est la plus talentueuse de notre Terre. Je me fraye difficilement un chemin à travers la foule. Je sais qu'il y a beaucoup de monde à la cité musicale, mais pas à ce point. Je réussis finalement à trouver un chemin jusqu'à l'Auberge des Cents Chants. C'est plutôt grand, le bois du bâtiment est lisse. Je pousse les portes battantes. Une fois entrée, une serveuse aux cheveux roux s'approche de moi avec un grand sourire et me déclare :

    "Bienvenue à l'Auberge des Cents Chants ! Vous désirez boire quelque chose, madame ?

    Je réfléchis une demi-seconde et réponds :

    -Avec plaisir !  Vous auriez une bière étoilée ?

    -Bien sûr ! Il y a une table de libre, là-bas !

    -Merci !

    Je m'assois à la table qu'elle me désigne et elle partit en direction du comptoir. J'adore la bière étoilée. Faite à base de poussière de fée et de bière classique que préfèrent les hommes. Mais la meilleure boisson est bien évidemment la Couronne de Mélorah, la meilleure bière jamais créée. Je sais qu'elle est disponible ici, mais à la vue de son prix, je préfère rester raisonnable. Je balaye la grande salle du regard. Il y a des hommes et des femmes de tous les âges qui festoient et chantent gaiement. Au plafond, un lustre en verre est accroché. Le comptoir est plein à craquer. J'entrevois le patron, un homme un peu gros au crâne pratiquement chauve mais qui a l'air adorable. Je détourne le regard vers la serveuse qui revient avec un grand verre de bière étoilée. 

    -Et voilà, une bière étoilée ! dit-elle en déposant le verre devant moi.

    -Merci beaucoup !

    -Bonne dégustation !

    Je sirote tranquillement ma bière qui est bien meilleure que celles que j'ai déjà pu goûter dans d'autres tavernes. Après un petit moment, une femme magnifique aux cheveux bruns et oranges et aux yeux bruns s'avance au milieu de la pièce accompagnée d'un guitariste. Enfin de la musique !

    -Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, les enfants et les vieillards ! s'exclame-t-elle, A la demande personnelle, Ragnar le Rouge !

    Puis elle commence à chanter. Sa voix est si belle qu'on dirait qu'elle a été faite à partir de tout ce qui symbolise la beauté. Ragnar le Rouge n'est pas un chant très joyeux, plutôt sanglant mais il est marrant et je l'aime bien. C'est une chanson qui nous vient de nos cousins de Bordeciel dont le pays est notre voisin. Durant les précédentes guerres, ils ont été de fidèles alliés. Une fois le chant terminé, la chanteuse s'approche de moi avec un verre de punch à la main. 

    -Ah, que j'aime cette auberge ! déclare-t-elle, pour rien au monde je ne voudrais chanter ailleurs !

    Elle a de très jolis yeux châtains et, même quand elle parle, une voix claire et douce.

    -Vous avez vraiment une voix magnifique, dis-je sincèrement, vous êtes allée au Conservatoire, pas vrai ?

    Le Conservatoire est l'école de musique et de chant de Mélorah. Elle est aussi à Walandriah.

    -C'est ça ! Dix ans au Conservatoire et j'en suis ressortie vivante !

    -Ça fait longtemps que vous chantez ici ?

    -Trois ans, je crois, peut-être plus. Je perds la notion du temps, au fil des jours ! Et toi, qu'est-ce que tu fais ici ?

    -Je viens comme touriste, ça fait longtemps que j'attends d'entrer dans cette auberge légendaire ! Et je ne suis pas déçue !

    -Je l'espère ! Eux, ce sont presque tous des habitués !

    Elle pointe du doigt les clients. Un homme légèrement saoul monte sur une table et se met à danser une danse alsacienne. Je ris.

    -Vous devez bien les connaître.

    -Pour tout te dire, certains hommes m'ont même demandée en mariage !

    Je jette un rapide coup d'oeil à ses doigts : pas d'alliance, aucune bague.

    -Je m'appelle Grace, dis-je en lui tendant la main.                                                                                                               

    -Valérica. Tu dois venir de loin, non ?

    En posant cette question, elle saisit la queue-de-cheval basse que je me fais tout le temps. Mes cheveux sont une catastrophe lorsqu'ils sont détachés.

    -J'habite dans la région Néérienne.

    Le Néer est la région la plus au Nord de Mélorah et la plus froide. J'y ai toujours vécu, avec ma mère. 

    -Je me disais bien que tu portes sur toi la faible température des montagnes enneigées du Nord.

    -Oui, ça change de venir ici, j'ai presque trop chaud.

    -Profite bien, alors.

    Le silence s'installe. Elle lâche ma queue-de-cheval. Je tripote mon verre vide, puis reprends la discussion finalement.

    -Dites, c'est toujours aussi bondé, dehors ? Je savais qu'il y avait du monde, mais j'ai failli me faire éjecter de la route !

    -Ah, c'est toujours comme ça ! On a de nouveaux touristes tous les jours !

    -J'ai aussi remarqué la Cathédrale Wivhern. Les cloches n'ont pas encore sonnées, sont-elles cassées ?

    La cathédrale Wivhern est sans doute le plus beau bâtiment de Mélorah. Ses murs ont beau être en pierre d'un gris fade, l'intérieur est d'une beauté inimitable. Apparemment, certains vitraux sont en cristal...

    -Non, ça a toujours été comme ça, répond-elle. Elles ne sonnent qu'à deux occasions, je crois.

    -Lesquelles ?

    -Lorsqu'on passe d'une saison à l'autre et à la naissance d'un membre de la famille royale.

    -Et pour les évènements comme les mariages ?

    -On fait sonner les petites clochesAh, excuse-moi, il faut que j'y retourne !

    -Amuse-toi bien !

    Elle retourne au centre de la pièce et demande l'attention du public. Elle se mit à chanter d'autres chants que je ne connaissais pas. Presque deux heures plus tard, elle s'arrête et tourne la tête vers l'entrée. Elle tape trois fois des mains et dit :

    -Chers amis, l'heure est venu d'honorer nos cousins impériaux de Bordeciel.

    Puis commence le chant le plus connu des Terres de Bordeciel et Mélorah : l'Age de la Violence, hymne des Impériaux.

    "Nous fils de Bordeciel, combattons sans répit,

    Jusqu'à ce que Sovngarde*  nous accueille en sa nuit.                                                                    *Sovngarde se prononce Sovenegarde, c'est le Paradis des Nordiques. 

    Nous chasserons les Sombrages, nos terres reprendront,

    Par le sang et l'acier, chez nous d’où reviendront.

    Mort à Ulfric*, le tueur de roi !                                                                                                       *Jarl de Vendeaume et chef des Sombrages.

    Le jour de ton trépas, nous boirons dans la joie.

    Aux jours à venir à ceux qui ne sont plus,

    Le temps des dictateurs est bientôt révolu.

    C'est notre terre et nous la guérirons

    De la peste qui rongea nos rêves et nos passions."

    Après avoir chanté, les clients se lèvent puis quittent l'auberge ou montent à l'étage. Valérica ramasse quelques verres qu'elle pose ensuite sur le comptoir, puis m'interpelle.

    -Tu veux une chambre, Grace ?

    -C'est pas de refus, répondé-je. A mon avis, toutes les autres auberges sont pleines.

    -Ça ne m'étonnerait pas ! Tiens, la clé de la chambre douze.

    Elle me lance la clé que je rattrape au vol puis me lève de ma chaise.

    -Merci. Je paierai demain. Bonne nuit.

    Je monte les escaliers et cherche la chambre douze. Mais d'un seul coup, je me perds dans mes pensées et bouscule quelqu'un. 

    -Excusez-moi ! Je ne regardais pas où j'allais et...

    Quand je relève la tête, je vois le visage de la personne que j'ai heurtée : un jeune homme, de mon âge sûrement (rappelant que j'ai 21 ans), très beau avec ses légères boucles brunes et ses yeux oranges qui me révèlent qu'il doit être un Devin ou un Prêtre..

    -C'est rien, dit-il en souriant. Euh, ça doit être ta clé.

    Il me montre l'objet que j'ai fait tomber en lui fonçant dedans.

    -Ah ! Merci.

    Il me tend ma clé puis je la prends. Le silence s'abat sur nous telle la foudre. Il me tend sa main.

    -Tristan, déclare-t-il avec un accent anglais.

    -Grace. Vous n'êtes pas d'ici ?

    -Non, répondit-il avec un sourire charmant,  je viens d'Angleterre.

    -Je le savais ! J'ai toujours rêvé de voir la cité médiévale du Roi Arthur !

    -Oui, c'est plutôt joli quand on y va juste pour regarder. Et vous, je parie que vous venez du Nord ?

    Je rougis tellement je suis surprise.

    -C'est ça. Je suis Néérienne.

    -Je m'en doutais. Bonne nuit.

    -A vous aussi.

    Il se retourne et ouvre la porte de sa chambre avant de me lancer un dernier regard accompagné d'un sourire ravageur. Je le trouve très mignon mais je n'ai pas le temps de rêvasser sur les hommes. Je ne veux pas finir comme ma pauvre mère, délaissée par mon père inconnu. Une fois dans ma chambre, je défais mes cheveux, me déshabille, prend un bain et profite d'une bonne nuit de sommeil.
    Le lendemain, je me réveille aux aurores. Je me rhabille puis descends au rez-de-chaussé et constate qu'il n'y a personne. A cette heure-là, pourtant, il y a déjà plein de monde. J'entend du bruit dehors, je sors donc, intriguée par ce remue-ménage. Ce que je vois est vraiment bizarre. Le personnel de l'auberge et d'autres habitants de la ville ont le regard pointé vers le ciel, l'air inquiet.

    -Que se passe-t-il ? demandé-je au hasard.

    -Poussez-vous ! s'écrie une voix grave et forte. Laissez-moi passer !!

    Le public s'écarte petit à petit pour laisser passer le Roi accompagné de sa fille, la Princesse Elena. Eux aussi regardent le soleil et la Princesse devient pâle comme la neige qui tombe chez moi.

    -On a un problème, dit le Roi, un grand homme blond au crépuscule de sa vie. Gardes ! Evacuez-moi ces petits curieux !

    Les gardes s'exécutent. Ils poussent le public et je suis le mouvement sans protester. Je rentre dans l'auberge et interroge Valérica qui semble paniquée.

    -Mais qu'est-ce qui se passe ?!

    -Le soleil... s'éteint.

    J'ouvre des yeux ronds comme des soucoupes. Je me disais bien que le ciel est sombre aujourd'hui. Mais le truc, c'est qu'à Mélorah, le soleil a toujours la même luminosité, le même éclat. Il ne s'éteint que pour laisser place à la nuit et il ne pleut jamais. Je réfléchis un court instant et sors de l'auberge au pas rapide.

    -Où vas-tu Grace ? demande Valérica.

    Mais je ne lui répond pas. Une fois dehors, j'accoure auprès du Roi et de sa fille et m'agenouille.

    -Majesté ! déclaré-je. Si je peux faire quoi que ce soit pour résoudre le problème qui s'abat sur la terre de Mélorah, je suis à votre service !

    Le souverain se tourne vers moi.

    -Qui es-tu ? me demande-t-il.

    -Mon nom est Grace, Sire. Je viens des terres froides du Néére.

    -Comment comptes-tu nous aider ?

    -Euh... Je ne sais pas, Sire...

    -Eh bien, ... Je crois connaître un moyen, mais...

    -C'est très dangereux, continue la Princesse.

    -Aucune importance ! m'écrié-je. Dites-moi seulement ce que je dois faire.

    -Ta témérité est-elle sincère, jeune fille ? me questionne le Roi.

    -Bien évidemment.

    -Alors, suis-moi.

    Je me relève et suis le Roi et la Princesse en direction du château. Nous traversons les nombreux bâtiments, les nombreuses rues et les interminables virages. Arrivés au château, les portes s'ouvrent d'elles-mêmes. Nous entrons dans le hall immense au plafond de verre qui laisse transparaître le ciel. Au fond de la salle se trouvent deux trônes étincelants. Le souverain m'entraîne dans une pièce qu'il ferme à clef. Nous entrons tous les trois et la porte disparaît. Le Roi m'invite à m'asseoir sur l'une des nombreuses chaises de bois aux côtés de la Princesse. Je regarde rapidement cette dernière. C'est une très jolie jeune fille un peu plus vieille que moi aux cheveux brun ornés de toutes sortes de bijoux. Elle porte une longue robe couleur aube qui lui va à ravir. Le Roi s'assoit. La discussion peut commencer. 

    -Depuis la nuit des temps, tu dois savoir que le soleil triomphe sur cette terre ? dit le souverain.

    -Oui, répondé-je. Et il commence à faiblir, c'est ça ?

    -Exact. C'est un avertissement. Un danger nous guette et nous devons supprimer cette menace.

    Elena intervient.

    -La légende raconte que le jour où le soleil prendra son éclat, c'est que... quelque chose est revenu... à la vie...

    -Mais quoi ?

    -La légende varie selon les cultures : dragons noirs, spectres, sorciers maudits, armée de guerriers spectrale.. Il y a tellement de possibilités.

    -Quelle est la plus plausible ?

    -On parle d'un Sorcier nommé Bériah. Il serait mort il y a 1000 ans.

    J'écarquille les yeux. J'ai lu ce nom des dizaines de fois dans les livres d'Histoire de Mélorah.

    -Ne serait-ce pas le Sorcier légendaire ? Le plus puissant qui n'ai jamais existé ?

    -C'est ça. Si jamais il revient à la vie, nous sommes sûrs que mille fléaux s'abattront sur la terre de Mélorah. Voire sur le monde entier...

    -Qu'est-ce qu'on peut faire pour éviter cela ?

    -Il faut rendre son éclat au soleil, déclare-t-il.

    -Comment peut-on faire ça ?

    -Personne ne le sait. C'est un secret gardé par les Fées.

    -Pouvons-nous les convoquer ?

    La Princesse se lève suite à mes paroles et commence à prononcer une phrase dans un langage inconnu. Puis je comprends. Je n'ai pas fait attention aux yeux roses framboise d'Elena, qui trahissent sa nature féerique. 
    Bref, après avoir récité sa formule, la Princesse fut enveloppée d'une étincelante lumière. Elle prit sa forme réelle, plus petite, flottant à quelques centimètres au-dessus du sol grâce à ses ailes couleur de l'océan.

    -Je vois que la réussite de cette quête ne pourra aboutir qu'en se dirigeant au sommet du Mont Luth où se trouve la Grande Prêtresse Millénaire qui enverra vers un autre monde les deux élus où la réussite de la quête sera plus que probable.

    Je ne comprenais guère ce qu'elle racontait mais les prophéties sont rarement très précises. La lumière s'éteint et la Princesse redevint elle-même puis s'effondra sur le sol.

    -Alors... ? me demanda-t-elle

    -Alors quoi ?

    -Que t'a t-elle dit ?

    -Vous ne vous en souvenez pas ?

    -Nous les Fées, quand nous choisissons de rester humaine, nous ne pouvons reprendre notre forme féerique qu'un court instant et sommes condamnées à ne pas nous souvenir de ce qui s'est passé durant ce laps de temps. Que t'a-t-elle dit ?

    -Que je ne pourrais réussir que si je trouve la Grande Prêtresse Millénaire qui se trouve au sommet du Mont Luth. A ce moment-là, elle m'enverrait dans un autre monde et... c'est tout.

    Je n'ai pas parlé des "deux élus" dont a parlé la Fée, mais je préfère de pas m'y intéresser pour le moment.

    -Je comprends, dit Elena en se relevant, ce ne sera pas un autre monde, mais une autre dimension, alors il faudra être très prudent.

    -Le plus dangereux est l'épreuve.

    -L'épreuve ?

    -Su tu veux obtenir les faveurs de la Prêtresse, il faut réussir une épreuve périlleuse.

    -Laquelle ?

    -Elle arrêtera le Temps et tu devras trouver le moyen de le réactiver avant qu'il ne s'arrête à jamais.

    -Mais si j'échoue, c'est le monde entier que je détruis !

    -Non, ce n'est qu'une illusion, mais si tu échoues, elle te reniera.

    -Je comprends. Vous savez quelque chose sur cette épreuve ?

    -Je sais comment la réussir. Quand tu arrives dans la fausse dimension, il y a un indice caché. Observe autour de toi et cherche une montre à gousset ou une horloge puis fais tourner de force ses aiguilles vingt-quatre fois, soit l'équivalent d'une journée. Tu n'as qu'à faire ça une seule fois et tu devrais réussir l'épreuve.

    -J'ai compris. Merci beaucoup.

    -Nous allons te préparer un cheval et quelques affaires.

    Nous sortons de la pièce et une jeune fille s'approche de nous, complètement paniquée.

    -Majesté ! Majesté, c'est terrible !!

    -Mais calmez-vous, enfin ! dit le Roi tentant de rassurer la servante. Que se passe-t-il ?

    -Les cloches !! Oh, mon Dieu...

    Puis elle s'évanouit. Nous nous mettons à courir vers le plus proche balcon où nous découvrons un spectacle horrible : les cloches de la cathédrale Wivhern sont transparentes, comme si elles devenaient invisibles.

    -C'est impossible... elles... elles disparaissent...

    La Princesse s'effondra et se mit à sangloter.

    Sans rien dire, je m'élance vers la cathédrale et y entre. J'étais figée devant la grandeur du bâtiment. Je scrute chaque coin et monta à l'étage. Je découvre près de l'orgue une chose très rare : de la poussière d'Or qu'on ne trouve que sur les ossements des Dragons d'Or (qui sont les plus puissants, on dit qu'ils sont invulnérables et peuvent vivre près d'un milliard d'années). Qu'est-ce que ça peut bien faire là ? Je savais que la poussière d'Or pouvait désenchanter un objet magique ou un Magicien, mais... oh, je comprends... Les cloches de Walandriah sont magiques. Je ne sais pas pourquoi mais j'en suis persuadée. Je retourne au château et fais part de ma découverte au Roi.

    -Oui, c'est vrai... Les cloches de Walandriah sont enchantées. C'est pour ça qu'elles ne sonnent qu'à deux occasions. Lorsqu'on passe d'une saison à l'autre, nous les faisons sonner pour que la saison se passe le mieux possible. Pour que l'hiver, nos enfants aient de quoi manger. Pour qu'au printemps, les récoltes soient bonnes. Pour que l'été, le soleil ne tape pas trop fort. Pour que l'automne, les feuilles ne soient pas trop nombreuses à tomber. Lorsqu'on passe d'un Roi à l'autre, elles sonnent pour que le règne de ce Roi soit prospérité et bonheur.

    - On change de Roi si rarement que ça ?

    -Cela fait bientôt 90 ans que je règne. Les Rois de notre Terre, lorsqu'ils sont couronnés, ont la capacité de vivre plus longtemps, entre 100 et 500 ans. 

    -Ne sonnent-elles pas aussi pour la naissance d'un membre de la famille royale ?

    -C'est exact. Le jour de sa naissance, les cloches ont retentis pour Elena.

    -Qu'est-ce qu'on peut faire pour empêcher la progression de la disparition des cloches ? 

    -Je ne sais pas mais si elles disparaissent, ça pourrait bien que notre pays vienne à disparaître.

    -A disparaître?! m'exclamé-je.

    -Oui. L'énergie de notre Terre est enfermée en ces cloches. Si elle venait à s'évaporer, le royaume se mourrait.

    -Dépêche-toi d'aller trouver la Prêtresse ; elle sait sûrement comment résoudre notre problème !

    -Majesté ; j'y vais de ce pas !

    -Nous te donnons tout le courage du monde, Grace. Que Dieu te protège.

    Sur ce, je pars à l'auberge où m'attendent, comme prévu, un cheval et deux gros sacs. Valérica vient à ma rencontre.

    -Tu es sûre de ce que tu fais ? C'est très dangereux...

    -Ma décision est prise, Valérica. Le Roi et la Princesse me font confiance et je veux sauver cette Terre. J'ai une mère et elle est tout ce qu'il me reste. Et j'aime la vie. J'aime le monde ! Je ne veux pas qu'il soit détruit. En plus, je cherchais du travail...

    -Alors, courage ! Bonne chance.

    -J'espère bientôt pouvoir te réécouter chanter, dis-je en chevauchant ma monture, au revoir mon amie.

    J'allais partir au galop quand une voix familière se mit à crier vers moi :

    -Grace ! Qu'est-ce que tu fais ?!

    Je vois alors, interloquée, Tristan le garçon que j'ai bousculé hier soir à l'auberge, chevauchant un magnifique étalon noir.

    -Mais... que fais-tu là ? lui demandé-je.

    -Tu vas voir la Prêtresse ! Tu es dingue !

    -Mais... qu'est-ce qui t'arrive ?

    -Il est hors de question que je te laisse y aller !

    -Non, mais de quoi je me mêle ! Occupe-toi de tes affaires, c'est mon problème !

    -Et si tu meurs ?! Si il t'arrivait quelque chose ?!

    -Depuis quand ça te regarde ?! On ne se connaît même pas ! Tu n'as pas à me dire ce que je dois faire !

    -Alors laisse-moi venir avec toi !

    Je suis bouche-bée. Pourquoi s'inquiète-t-il autant pour moi ? Et pourquoi insiste-t-il autant ?

    -Mais... je ne t'ai rien demandé !

    -Je refuse de te laisser risquer ta vie comme ça pour de telles chimères !

    Je fronce les sourcils.

    -Des chimères ?!

    Folle de rage, je m'approche de sa monture et le frappe sur la joue avec colère.

    -Il s'agit du sort de la Terre de Mélorah, voire du monde entier ! Il n'y a donc personne à qui tu tiens ?!

    Il ne dit rien d'autre et baisse la tête. Je regrette presque de m'être autant énervée.

    -Si.. il y a quelqu'un... dit-il faiblement.

    -Alors, bats-toi pour cette personne ! Pense à elle et à son avenir ! Ce serait dommage de la laisser mourir à cause d'un foutu sorcier revenu d'entre les morts qui menace de bousiller le monde ! Tu ne crois pas ?!

    -Je t'en prie... laisse-moi t'accompagner...

    Je soupire et souris.

    -Un compagnon de voyage... ce n'est jamais de refus.

    Il relève la tête et m'adresse un sourire rassuré.

    -Alors allons-y ! Direction le Mont Luth !

    Il galope vers la sortie de la ville et je le suis, enthousiaste. Je sens que c'est le début d'une grande aventure. Et je ne suis sûrement pas au bout de mes surprises... Et si c'était lui, le second élu ?

     

    Chapitre 2 : les véritables intentions de Tristan

    Nous galopons longtemps à travers plaines et forêts, en nous arrêtant à divers endroits. Après une bonne journée à cheval, nous décidons de nous arrêter pour la nuit. Par chance, sur le chemin, nous trouvons une auberge intitulée "Le Refuge de l'Aventurier", un nom que je trouve fort sympathique. En rentrant, le patron, une homme d'âge mur avec un foulard noué autour de la tête nous salue. Son sourire est très accueillant et chaleureux. Nous commandons un repas chacun. Tristan commande également deux chopes de bière mais je refuse. Après avoir mangé, nous prenons une chambre chacun. Je ne mets pas longtemps à m'endormir mais, en pleine nuit, quelque chose attire mon attention. La chambre que mon partenaire avait pris était toujours illuminée. J'entends la voix du patron discuter avec mon compagnon.

    -Tu es sûr que c'était une bonne idée d'amener cette fille, Tristan ?

    -Ne t'inquiète pas ! répond le jeune garçon d'un air convaincu. J'ai tout prévu. Elle ne se rendra compte de rien et tout ira bien, je te le promets.

    -Bon, je te fais confiance, mais tu sais qu'au moindre faux pas, tu perds tout !

    -Je sais, je sais. Allez, j'ai encore des choses à faire ; laisse-moi.

    En entendant des pas, je me précipite dans ma chambre et réfléchis non sans panique. Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'a-t-il prévu ? De quoi ne me rendrais-je pas compte ? Et c'est quoi cette histoire de tout perdre ? J'ai bien reconnu la voix du patron de l'auberge. Tristan avait donc prévu de venir ici ? Pourquoi a t-il insisté pour venir avec moi ? Beaucoup de trop de questions et pas assez de réponses. Pour le moment, en tout cas. Ce qui est sûr, c'est que je dois être prudente tout en découvrant le plus rapidement possible quel est le vrai visage de mon compagnon. Je retourne sous ma couette, un couteau sous l'oreiller (la paranoïa, sans doute) sans pouvoir fermer l'oeil de la nuit.
    Le lendemain, j'essaye de paraître difficilement naturelle. Quand Tristan s'approche de moi pour me saluer, je remarque les jolies cernes qui ornaient ses yeux. Pas facile d'être matinal quand on a passé la nuit à comploter ! Enfin, je dis ça mais je suis aussi lessivée que lui...

    -Bien dormi ? me demande-t-il.

    -Très bien, merci, répondé-je d'un ton sec.

    -Moi, j'ai eu du mal à m'endormir. Je suis un peu insomniaque !

    "Ne t'énerve pas, ne t'énerve pas... !!!" pensé-je. Sur les nerfs, je quitte la pièce principale pour aller me préparer à la reprise de notre voyage... qui devrait être le mien. Une fois sur mon cheval (qui parait aussi fatigué que Tristan), je fais un rapide récapitulatif mental de ce qui s'est passé pendant la nuit : je sais que mon partenaire agit dans mon dos et pas de façon positive. Je dois vite découvrir les véritables intentions de Tristan. Mais pour le moment, j'ai deux autres choses à faire : empêcher la résurrection du sorcier Bériah et sauver les cloches de Walandriah. Et pour cela, je dois vite me rendre au sommet du Mont Luth trouver la Grande Prêtresse Millénaire. Tristan me rejoint à cheval et nous pouvons reprendre notre route.
    Sur le chemin, quelque chose d'inattendu se dresse face à nous : une prairie de plantes de Caricalla (ou si vous préférez, des plantes enchantées,  très agressives. Certaines sont même cannibales...). Si nous passons par ici à cheval, nous sommes sûrs de ne jamais en ressortir. Je regarde mon partenaire. Tristan ne parait pas du tout affolé. Il descend de son cheval et s'approche de moi. Il me tend la main en souriant. Je n'ai plus confiance en lui depuis la nuit dernière mais si il sait comment se sortir de ces plantes enchantées, je ne peux compter que sur lui. Je lui prend la main et descend à mon tout de ma monture. L'instant d'après, je perd la notion du temps et croit rêver. Il se glisse derrière moi et sa main gauche vient se poser sur ma taille, sa main droite toujours dans la mienne. Tout en avançant calmement sur le côté, il me dit doucement à l'oreille d'avancer lentement et de garder mon calme, pendant que les plantes nous regardent d'un air alléché. Sa voix est si douce et apaisante. J'en oublis presque que le sort du monde est entre mes mains.  Nous arrivons à contrer le danger et à atteindre l'autre côté, où nous sommes en sécurité. Tristan me lâche enfin et je reprends mes esprits. Mais un détail m'interpelle :

    -Mais... et les chevaux ?

    -Ne t'inquiète pas.

    Il claque des doigts et les chevaux avancent calmement vers nous, à la même vitesse que Tristan et moi avons contré le danger. Je n'en crois pas mes yeux. C'est comme si les deux animaux étaient envoûtés et que mon compagnon les contrôlaient comme bon lui semble. Ça ne me plait pas trop, mais les chevaux portent nos sacs avec toutes nos affaires. Et sans nos fidèles destriers, nous atteindrons le Mont Luth le mois prochain, alors mieux faut-il que nous les gardons. Les deux bêtes arrivent enfin auprès de nous puis je remonte sur mon cheval et Tristan fait de même.
    Nous continuons de galoper toute la journée sans arrêt en nous rapprochant rapidement de notre point d'arrivée. A la tombée de la nuit, aucune auberge, habitation ou village en vue. Nous décidons donc de monter un camp pour la nuit. Nous ne pouvons pas nous permettre de chevaucher de nuit, il y a trop d'inconnus et nous n'avons aucun moyen d'éclairage. Pendant que Tristan s'occupe des chevaux, je tente malgré mon inexpérience de faire du feu. Je suis peut-être habituée au froid et dormir sans source de chaleur ne me dérange pas, mais les flammes me rappelent mon lointain chez moi. Alors que j'allais bientôt abandonner, Tristan comprend ma détresse et s'assoit à côté de moi (un peu trop près de moi...) et me prend les silex des mains. Dans la folie du geste, ses mains viennent se poser sur les miennes.

    -Tu as les mains glacées..., dit-il.

    -Elles ont toujours été froides. Comme tout le reste de mon corps.

    Dernière phrase que je n'aurais pas dû prononcer car sa main s'approche de ma joue qu'il caresse avant de conclure :

    -C'est pas faux.

    Soudain, je suis prise d'une étrange sensation. J'ai l'impression d'être attirée vers lui. Impression que j'ai toujours eu peur d'avoir. Ses lèvres se rapprochent des miennes. Mais un bruit inquiétant attire notre attention.

    -Attends-moi là, dit-il.

    Il se lève et se dirige vers le bruit, me laissant seule à réfléchir comme une machine sur le point d'exploser. Puis je me rappèle. Tristan ne veut qu'une chose : me piéger. Je ne dois, à aucun moment, relâcher ma garde. Lorsqu'il revient, j’évite son regard.

    -C'est rien, juste un cerf. Dormir dans la forêt, c'est à devenir paranoïaque.

    J'ai un déclic. Enfin, j'ai surtout l'impression que Tristan joue avec moi. Je ne suis pas paranoïaque, mais à certains moments, je peux avoir des réactions proches de la paranoïa. Comme si il le savait et que son but est de me faire perdre mon sang-froid. Je décide d'aller me coucher afin de ne pas montrer mon malaise. Je ne sais pas à quelle heure lui est allé se coucher mais je suis presque sûre qu'il avait continué à comploter dans mon dos. A l'aube, nous n'avons pas tarder à repartir. Selon ma carte, le Mont Luth n'est plus très loin. Si tout se passe bien, nous arriverons dans moins de deux jours. Ce qui veut dire que je vais devoir être encore plus prudente, car Tristan devrait bientôt agir. Enfin, si je ne me suis pas trompée, mais ça m'étonnerait.
    Alors que nous arrivons tranquillement dans le tout petit village d'Arphel, des gardes viennent à notre rencontre.

    -Halte ! s'écrie l'un deux. Vous là ! Qui êtes-vous et d'où venez-vous ?

    -Nous venons de la capitale ! dis-je, je suis Grace Merphel, en mission pour son Altesse Royale !

    -Très bien, mademoiselle ! Veuillez descendre de votre monture !

    J'obéis et attendis la suite.

    -Et vous ! Qui êtes-vous ? dit un second en s'adressant à Tristan.

    -Tristan Irng, en mission pour son Altesse Royale.

    -Descendez, vous aussi !

    Ils abaissèrent leurs armes. Tout devrait bien se passer maintenant.

    -Suivez-nous. Nous allons vous conduire auprès du Duc !

    Sur les Terres de Mélorah, les villes autres que la capitale sont gouvernées par les Ducs et les Duchesses. Les autres petits villages ont un chef que les habitants choisissent. Bref, les gardes nous escortent jusqu'à un bâtiment plus grand que les autres et nous font entrer. Le Duc, assis dans un grand fauteuil, nous fixe d'un air peu surpris. A croire que les visiteurs ne se font pas rares ici. Tristan et moi nous agenouillons. Je prends la parole.

    -Mon Duc, je suis Grace Merphel, pour vous servir. Voici Tristan Irng, mon compagnon. Nous sommes en mission pour le Roi, nous ne faisons que passer.

    -Je vois. Je suis Isbern le Fier, Duc d'Arphel. Si je peux me permettre, quelle est donc le but de votre quête ?

    Je me fige. Je ne m'attendais à une telle question. Que dois-je répondre ? Que la fin du monde approche et qu'on m'a chargée de la stopper ? Que je dois empêcher la disparition de quelques cloches ? J'interroge Tristan du regard qui me répond par un stupide haussement d'épaule. La panique me gagne, je ne sais que dire.

    -Alors ?! s'impatiente le Duc.

    -Les nuages commencent à se rassembler sur Mélorah, commence Tristan, et le Roi a jugé bon d'envoyer cette belle jeune fille seule pour atteindre la Grande Prêtresse Millénaire au sommet du Mont Luth pour trouver une solution à ce problème. De plus, les cloches de la cathédrale Wivhern menacent de disparaître et si c'est le cas... notre royaume aussi pourrait disparaître.

    Je suis certes impressionnée par le fait qu'il ai dit tout ça sans la moindre hésitation mais je reste surtout bloquée au groupe nominal "belle jeune fille"... Et je dois dire que le Duc a l'air plutôt d'accord.

    -Je comprends, reprend le Duc. Vous êtes donc son compagnon de voyage ?

    -Oui, mon Duc.

    -Laissez-moi vous offrir une nuit à l'auberge. Deux jeunes gens en chemin pour une quête si périlleuse méritent un peu de confort.

    -Je vous en remercie, mon Duc, dis-je.

    -Nous nous occuperons de vos chevaux et veillerons sur vos affaires, vous n'aurez pas à vous en faire. Vous pouvez disposer, mes amis.

    -Merci beaucoup, mon Duc.

    Sur ce, nous nous relevons et un jeune homme nous accompagne vers l'auberge du village nommée "Le Traquenard du Guerrier". A l'intérieur, l'auberge n'est pas très vide. Des gens chantent en cœur avec une femme dont la belle voix est exact opposé de celle de Valérica. Celle de mon amie est plus claire et aigüe, plus féminine, tandis que celle de cette chanteuse est bien plus grave. Les mots qu'elle chante sont légèrement mâchés mais compréhensibles et tout de même agréables à écouter. Physiquement, elle a l'air un peu plus jeune que Valérica. Elle a de très courts cheveux noirs, de jolis yeux bleus océan et une peau très pâle. Je vois même quelques adorables tâches de rousseur sur ses joues. Je m'assois au comptoir et commande ma bière étoilée tout en écoutant la chanteuse.

    -Mesdames, messieurs, voici l'heure d 'honorer nos cousins les Sombrages de Bordeciel ! s'exclame-t-elle.

    Puis elle se met à chanter l'hymne des Sombrages, ennemis jurés des Impériaux. Donc, le village d'Arphel est un village sombrage ainsi que cette taverne. L'hymne sombrage est le même que celui des Impériaux à l'exception de quelques mots. Je remarque que le soleil se couchait. Tout comme à Walandriah, c'est au moment du coucher de soleil que commence l'hymne impérial ou sombrage. Je trouve ça drôle comme concept. Une fois sa pause demandée, la chanteuse s'assoit au bar à côté de moi et commande un verre d'eau.

    -Une Impériale... Ici... hmm, misère, misère, marmonne-t-elle d'une voix gênante.

    -Euh, non ! protesté-je.Vous vous trompez ! Sachez que je ne suis ni pour l'Empire, ni pour Ulfric, madame !

    -Je l'espère pour toi, ma jolie. Ici, les Impériaux, c'est comme les rats, on n'en veux pas !

    Je la trouve bien moins sympathique et douce que Valérica. Cette femme a très mauvais caractère. Froide et un peu trop franche.

    -Mais ne t'en fais pas, ma jolie ! dit-elle soudainement avec un grand sourire. Bienvenue au Traquenard du Guerrier ! Serena, chanteuse, auteure, compositeur.

    D'un coup, elle est devenue adorable. Enfin, bon, la bipolarité, c'est récurrent chez nous en ce moment.

    -Grace, dis-je. Dites, est-ce que par hasard, vous connaîtriez une chanteuse du nom de Valérica ? Elle chante à l'Auberge des Cents...

    Mais je m'arrête d'un coup. Valérica est impériale. L'Auberge des Cents Chants est impériale. La ville de Walandriah aussi est impériale. Je vois avec peur la colère et la jalousie naître sur les joues de Serena.

    -Comment oses-tu prononcer ce nom ICI !!! hurle-t-elle. COMMENT ?!!

    Le personnel ainsi que les clients se retournent vers nous avec e grands yeux.

    -Je suis désolée !! Sincèrement désolée ! Je... Aïe !

    Elle me frappe sur la tête avec une louche en bois et continue jusqu'à ce que Tristan intervient.

    -Eh, Serena ! dit-il. Un peu de respect pour ma partenaire !

    La jeune femme pose sa louche sur le comptoir et regarde Tristan d'un air blasé. Pourtant, à la vue de son corps qui tremble, je vois bien qu'elle est troublée. Serait-ce à cause de Tristan ? Lui aussi ne le montre pas, mais je vois bien qu'il est étonné. 

    -Hm ? Oh, c'est toi, Tristan. Je savais bien que tu étais dans les parages, toujours à fourrer ton nez partout !

    -Qu'est-ce que tu racontes ? J'ai 22 ans maintenant, je suis plus un gamin ! Ha, ha...

    Je lève un sourcil, surprise de voir avec quelle familiarité ils se parlent.

    -Vous... Vous vous connaissez ?

    -Disons que j'ai déjà eu l'occasion de venir à Arphel, répond Tristan.

    -Alors, comme ça, vous êtes partenaires ? demande Serena.

    -Oui, nous sommes en mission pour le Roi. Enfin, JE suis en mission pour le Roi. Tristan, lui, s'est invité tout seul !

    -C'est presque vrai. Je t'explique, ma belle : tu m'as dit qu'un compagnon de voyage ne serait pas de refus, donc globalement, je ne te dérange pas et tu étais favorable à ce que je...

    -Ca va, ça va, j'ai compris ! Bon, je vais me coucher !

    Après ces charmantes retrouvailles entre Serena et Tristan, je m'affale sur mon lit en essayant en vain de ne pas penser à mes petits problèmes secondaires.
    L'auberge se vide peu à peu car j'entend de moins en moins de bruit. Seulement, je veux confirmer mes doutes. Je reste éveillée (avec, toujours, mon couteau à la main) en attendant l'assaut de Tristan ou d'un sbire.
    Au beau milieu de la nuit, ma porte s'ouvre et une silhouette bien familière entre en refermant la porte. Maintenant, il est piégé. Je saute de mon lit, armée, me jette sur Tristan et lui saisit les poignets, l'empêchant ainsi de faire le moindre geste.

    -Grace ?! s'exclame-t-il.

    -Je le savais ! dis-je en prenant de soin de chuchoter. Petit cachottier... Tu étais dès le départ de mèche avec tout le monde, c'est ça ?! Serena, le patron de l'auberge d'hier... Mais j'ai vu clair dans ton jeu ! Me piéger, c'est tout ce que tu voulais !

    -Attends, Grace !

    -Tu avais tout prévu ! L'Auberge, des Cents Chants, le départ ! Et tes petits numéros de drague aussi, c'était pour m'obliger à baisser la garde !

    -Non, Grace, laisse-moi t'expliquer !

    -Y'a rien à expliquer ! Tu es un traître, rien de plus ! Donc, maintenant, je vais te demander deux trucs : premièrement, ce que tu traficote dans mon dos ; deuxièmement, de dégager le plus vite possible et de me laisser continuer ma quête SEULE !

    Il ne dit rien et ferme les yeux. Il détend les poings et rouvre les paupières.

    -D'accord, je vais t'expliquer. Mais laisse-moi parler jusqu'au bout.

    -Marché conclu. Mais je ne te lâcherai que lorsque je l'aurai décidé. Je t'écoute.

    -Le patron du "Refuge de l'Aventurier" cherchait un mercenaire. Pas pour un assassinat, mais pour une affaire plus discrète. J'étais conscient du sort du monde, tu as dû remarquer que j'étais Devin.

    J'hoche la tête.

    -Eh bien, j'ai écouté la requête de Lowst. Il m'a dit qu'il avait besoin de quelque chose... de très important.

    -Qu'est-ce que c'était ?

    -C'était... de la Neige Enchantée.

    J'écarquille les yeux. Mais je vous explique : la Neige Enchantée est une sorte de matériau que l'on trouve uniquement dans les terres glacées du Néére, la région d'où je viens. On le raffine pour obtenir une poudre magique qui a de nombreuses vertus curatives et médicales. Elle sert aussi à lutter contre le froid lorsqu'on s'en poudre les mains. Mais c'est extrêmement rare. Seuls les Néériens connaissent l'existence de cette poudre. Comment se fait-il que Lowst soit au courant ? Est-il lui aussi Néérien ? Non, je l'aurait senti, sinon. Bien sûr, j'ai de la Neige Enchantée sur moi, dans ma sacoche. Mais comment Tristan peut-il le savoir ?

    -Comment tu le sais... ? demandé-je.

    -C'est lui qui m'en a parlé ! Je te jure que j'en savais rien ! Tout ce que je devais faire, c'était lui en trouver ! Je suis désolé, Grace !

    -Comment connaît-il l'existence de la Neige Enchantée... ?

    Je me mets à paniquer. Lowst a forcément appris l'existence de la Neige Enchantée par l'intermédiaire d'une autre personne. Mais je reprends mes esprits et continue de questionner Tristan. Je suis proche du but.

    -Est-ce qu'il t'a parlé d'une autre personne ?

    -Non. Il ne m'a rien dit d'autre. Il m'a juste dit d trouver cette poudre et de la lui ramener au plus vite.

    -Je veux connaître tous les détails de votre discussion de l'autre soir.

    -Il savait qui tu étais.

    -Comment ?

    -Tu avais tué un dragon il y a peu de temps, non ?

    -Oui, et alors ?

    -Il en a entendu parlé. Il m'a alors conseillé de te prendre pour cible. Mais quand nous sommes arrivés à l'auberge, il a ressenti quelque chose en toi. Il ne savait plus si c'était une bonne idée. C'est tout.

    -Et ton numéro de charme ? Ça rentrait dedans, aussi ?

    Il sourit, ce qui m'agace encore plus.

    -Oui et non. En fait... ça fait longtemps que je te connais.

    Je lève un sourcil. J'aimerais qu'il arrête de parler par énigmes.

    -Pardon ? Précisions, je te prie.

    -Tu te souviens le jour où tu as perdu ta boule à neige ?

    Un souvenir passe à toute allure dans mon cerveau. Il y a quelques années, quand j'étais toute petite, ma mère m'avait offert une boule à neige où des flocons magiques volaient un peu partout à l'intérieur. Sauf que je suis allée me promener dans la neige un jour et l'avait faite tombée. J'étais morte de chagrin tant je tenais à ce cadeau. C'est alors qu'un petit garçon de mon âge s'était approché de moi avec un objet dans la main et m'a demandé si il m'appartenait. C'était ma boule à neige.

    -C'est pas vrai...

    Sous le choc, je lâche mon arme. Je n'avais pas reconnu ses yeux oranges, tels deux magnifiques couchers de soleil que j'avais oublié. Mes mains lâchent les siennes mais ils les rattrapent.

    -Tu te souviens quand tu m'as demandé si il y avait une personne à laquelle je tenais ?

    Je m'en souvenais. 

    -Je pensais à toi.

    Je n'y crois pas.

    -C'est toi que je veux protéger ! C'est à tes côtés que je veux être ! Parce que Grace, je... je t'aime.

    Le silence s'abat. Ainsi que la foudre. Je serre ses mains et son regard crépuscule se plonge dans le mien. Perdue dans mes pensées, je mets une éternité à comprendre que ses lèvres se sont posées sur les miennes. J'intensifie ce baiser en saisissant son visage de mes mains glacées. Ses bras se rejoignent derrière mon dos puis il m'attire contre lui. Nos souffles commencent à s'emmêler puis à s'éteindre. Je prends le temps de respirer avant de l'embrasser de nouveau.

    -Je t'aime, Grace... je t'aime...

    Il continue de m'embrasser puis il me plaque sur le lit où il continue. Du regard comme réellement, il me déshabille. Après avoir entendu ses révélations, je ne peux plus lui en vouloir.

     

    Chapitre 3 : la Grande Prêtresse Millénaire. 

    Le lendemain, j'ai du mal à me lever. Tristan dort encore à côté de moi. Il aura payé une chambre pou rien... Soudain, je me rappelle que je suis nue. Je me rhabille rapidement et sors de la chambre en laissant mon "compagnon" dormir encore un peu.
    Pendant que je déjeune, il me rejoint, l'air fatigué. Il s'installe à mes côtés e m'embrasse sur la joue.

    -Si j'en croie ma carte, dis-je en pointant un endroit du doigt, nous devrions  atteindre le Mont Luth en fin de journée. Enfin, si tout se passe bien.

    -Il n'y a jamais un moment où tu arrêtes d'être sérieuse ?

    -Si ; cette nuit.

    -Pff... T'es pas drôle, Grace.

    -Oui, je sais. Bon, je vais me préparer. Tu me rejoins dehors ? 

    -Pas de problème, chérie.

    Amusée, je lui adresse un sourire qu'il me renvoie. Une demi-heure plus tard, nous étions repartis.
    Seulement, nous avons un problème : nous sommes perdus dans la forêt de Skelpas. C'est une forêt très volumineuse et les arbres sont si nombreux qu'on ne voit pas la sortie.

    -Il faut qu'on continue tout droit !

    -Moi, je te dis qu'il faut faire demi-tour !

    Tristan et moi ne sommes pas d'accord sur la direction à prendre. Je suis sûre qu'en faisant une ligne droite, nous serons sortis de la forêt en moins de deux minutes.

    -Mais si on fait demi-tour, on va perdre trop de temps ! protesté-je. On n'a pas une minute à perdre !

    -Eh bien, si tu veux t'enfoncer encore plus dans la forêt, je ne te retiens pas !

    -Bon, écoute ; on va tout d'abord arrêter de s'engueuler, parce que ça ne va rien arranger. Il y a forcément quelqu'un d'autre dans la forêt, on va demander notre chemin.

    Et heureusement, nous tombons sur deux marchands ambulants qui nous disent  qu'il faut bien continuer tout droit !

    -Tu vois, tu ne m'écoutes jamais..., dis-je d'un ton moqueur.

    -Oh, ça va, hein !

    -Tais-toi ; regarde, on est arrivés.

    Le Mont Luth est  bien juste devant nous. Il parait bien plus grand que ce que j'avais imaginé.

    -On ne pourra pas monter avec les chevaux, il faut y aller à pied.

    -C'est ce que je pensais aussi.

    Tristan descend donc de sa monture et m'aide à descendre de la mienne. 

    -Allez, allons-y.

    Nous commençons alors à monter les marches aménagées qui mènent au sommet de la gigantesque montagne. Sur le chemin, nous rencontrons pas mal de marchands et autres aventuriers. Une fois au sommet, un verre d'eau ne serait pas été de refus. Mais aucune trace de la Prêtresse.

    -J'espère qu'on n'est pas venus ici pour rien ! se plaint Tristan.

    -Patience. Je suis sûre qu'elle va bientôt se montrer.

    Nous attendons. 
    Au bout de ce qu'il nous paraît une heure, Tristan finit par perdre patience.

    -Bon, j'en ai marre ! On va retourner à Walandriah et demander des explications à la Princesse !

    -J'aimerais bien que tu ai tort. On a mis tellement de temps à arriver jusqu'ici...

    Alors que nous allons rebrousser chemin, une flamme se met à voler au-dessus du sol. Je m'approche de celle-ci qui grandit doucement lorsque je viens la toucher. Le feu n'a aucun effet sur moi. Après quelques minutes de croissance, la flamme se transforme en une femme aussi belle qu'une Déesse.

    -Je t'attendais, Grace, commence-t-elle, toi aussi, Tristan.

    -Vous nous attendiez ? demande-je.

    -Oui. Je sais pourquoi vous êtes ici. Mais tout d'abord, tu dois passer l'épreuve du Temps, Grace. Ensuite, tu pourras me faire part de ta requête.

    -Très bien. Je suis prête.

    -Reviens saine et sauve, me dit Tristan.

    -Ne t'inquiète pas.

    Je lui souris pour le rassurer puis m'approche à nouveau de la Prêtresse. L'instant d'après, je vois le Temps défiler puis s'arrêter sous mes yeux. J'ai mal à la tête et ma vue se brouille. Je suis dans un endroit très sombre où il n'y a que quelques bâtiments moroses. Il fait nuit et la "ville" est entièrement éclairée d'une lumière bleutée. Je reprends le contrôle de mon corps quand la Prêtresse me parle.

    -Tu as exactement une minute pour trouver comment réactiver le Temps. Bonne chance, Grace.

    Puis je vois à mon poignet une montre qui m'indique le temps qu'il me reste. Je dois vite trouver une horloge et suivre les instructions de la Princesse Elena. Je trouve rapidement ce que je cherche, accroché à un mur et commence par briser le verre. Puis je tourne une fois les aiguilles. Puis deux. Puis trois. Elles tournent toutes seules, je n'ai pas besoin de forcer. Je n'ai plus que trente secondes pour leur faire faire 24 tours. Je vais le plus vite possible mais mes bras faiblissent et s'arrêtent, n'ayant plus de force. Puis je me rappelle. Les terres du Néére sont surnommées "Terres du Temps. Pour cause que le temps et le climat sont toujours les mêmes. La neige ne s'arrête jamais de tomber là-bas. Je me concentre pour réfléchir. Je prends le centre de l'horloge dans mes mains. Je le recouvre de Neige Enchantée puis les aiguilles se mettent à tourner d'elles-mêmes. Elles s'arrêtent au bout de treize tours. Le Temps reprend son court normal.

    -Félicitations, Grace, m'annonce la voix de la Prêtresse, je ne pensais pas que tu y arriverais aussi facilement. Maintenant, il est temps que tu reviennes parmi nous.

    Dans un éclat blanc, je me retrouve à nouveau face à la Prêtresse, à côté de Tristan, au sommet de la montagne.

    -Je t'écoute, Grace, dit la Prêtresse. 

    -Vous devez savoir que la Terre de Mélorah est en danger ?

    -Oui. Tu es ici pour me demander conseil ?

    -Exact. On m'a dit que vous pourriez m'aider.

    -C'est vrai. Il existe un moyen d'empêcher la résurrection de Bériah et la disparition des cloches de Walandriah. Pour cela, je dois t'envoyer dans une autre dimension. Dans celle-ci, il sera impossible de stopper Bériah.

    -Quelles différences y'a-t-il entre cette dimension et l'autre ?

    -Dans cette seconde dimension, les pouvoirs de Bériah sont affaiblis et beaucoup moins dangereux. Êtes-vous prêts ?

    -Tristan ?

    Il me regarde, l'air déterminé.

    -Je te suivrai jusqu'au bout du monde.

    Il sourit et je lui prend la main.

    -Nous sommes prêts, annonce-je.

    -Bonne chance, Grace. Que Dieu te protège.

    L'instant suivant, ma vie défile devant mes yeux, comme si j'étais en train de mourir. Quand je rouvre les yeux dans un endroit enneigé. Suis-je dans les terres du Néer.. ? Je regarde autour de moi. Il n'y a personne. Je ne vois pas Tristan et commence à paniquer.

    -Tristan ? Tristan ! Où es-tu ?

    Soudain, il apparaît comme par magie derrière moi. Il semble aussi perdu. 

    -Grace ? C'est toi ?

    Je me jette dans ses bras.

    -Mais où étais-tu ?!

    -Je sais pas ! Je m'inquiétais moi aussi !

    Il me caresse le dos, sûrement pour m'apaiser.

    -Bon, il faut trouver où nous sommes, maintenant.

    J'observe le désert glacé où nous nous trouvons.

    -J'ai l'impression d'être déjà venue ici... On dirait... Le Néér. J'en suis même certaine.

    -Les terres d'où tu viens ? Pourquoi la Prêtresse nous aurait envoyés ici ?

    -Pour une bonne raison, à mon avis. Viens !

    -Où tu veux aller ? On sait même pas où on est exactement. 

    -Moi, je sais. Je connais les terres du Néér comme ma poche.

    Il me suit après avoir poussé un soupir d'agacement. Nos chevaux ont disparus ainsi que nos affaires, donc nous sommes un peu paumés mais nous les avons vite retrouvés dans une petite forêt quelques mètres plus loin. Nous marchons sans compter les heures, déterminés à savoir ce que nous faisons sur mes terres natales. Alors que nous nous sommes arrêtés devant une rivière gelée pour nous reposer, un jeune homme avec une sacoche en bandoulière s'approche de nous. Ce doit être un facteur ambulant. 

    -Excusez-moi ! Dit-il. Vous êtes bien mademoiselle Grace Merphel ?

    -Oui, c'est moi.

    -Tenez, j'ai ici une lettre pour vous. De la part de madame Lynl Merphel.

    Il me tend une enveloppe grisâtre.

    Je me fige. Une lettre de ma mère ? Juste quand j'arrive chez moi ? Et maman ne m'écrit jamais. J'accepte quand même la lettre. J'ouvre l'enveloppe tandis que le messager nous salue et s'en va. J'observe la petite feuille de papier et reconnaît clairement l'écriture de ma mère.

    "Ma petite Grace,

    J'ai eu un problème. Les Magiciens-Dragons sont venus me chercher. Je faisais des recherches sur les Dragons d'Or et j'ai dû faire... quelques entorses à certaines règles. Je suis désolée. Je pense qu'on ne se reverra pas. Je t'aime, mon cœur.

    Maman."

    Je suis pétrifiée. Ma mère enlevée par les Magiciens-Dragons ? Pour avoir fait des recherches ? Et c'est quoi cette histoire d'entorses aux règles ? Ma mère est raisonnable, elle ne prendrait pas le risque de faire des choses dangereuses ou illégales. Je dois vite découvrir où elle a été emmenée. Je me retourne vers Tristan et lui explique la situation.

    -Je ne sais pas quoi en penser, dit-il. Mais si les Magiciens-Dragons l'ont emmenée, c'est pour une bonne raison. Et puis, ils sont considérés comme les Magiciens les plus puissants. On ne pourra rien faire, une fois là-bas !

    -Ma mère est tout ce qu'il me reste ! Je ne la laisserai pas mourir à cause de quelques ridicules Magiciens !

    Sur ce, je monte sur mon cheval. Tristan est bien obligé de me suivre. Avec l'aide de quelques passants, je découvre finalement un bureau secret des Magiciens-Dragons qui leurs sert de laboratoire pour leurs recherches draconiennes. Sans attendre, nous galopons très peu de temps avant d'arriver à notre destination. C'est un bâtiment ni trop grand ni trop petit, histoire de ne pas attirer l'attention. Les murs sont tous d'un affreux gris qui me donne envie de vomir.

    -On ferait mieux de ne pas trop se montrer, conseille Tristan.

    -On va laisser les chevaux quelque part et entrer furtivement.

    -Je m'en occupe.

    Je descends de ma monture et avance vers le bâtiment. J'attends Tristan en position accroupie. Il me rejoint quelques minutes plus tard et nous réfléchissons à un moyen d'entrer sans nous faire repérer.

    -Ce qui est sûr, c'est qu'on ne pourra pas entrer par la porte principale, dit-il.

    -Merci du conseil, dis-je ironiquement, il y a forcément une petite entrée quelque part ou un passage secret.

    -Qui dit passage secret dit moi.

    Je lève un sourcil

    -Les Prêtres ont la capacité de connaître l'architecture d'un bâtiment rien qu'en le touchant ?

    -Un truc du genre, oui. Et je ne t'ai pas encore tout montré.

    -Je me sens tellement inutile à côté de toi.

    -Pour moi, tu es exceptionnelle.

    Je rougis un peu et le regarde fermer les yeux. Il les rouvre quelques secondes plus tard.

    -J'ai trouvé une entrée qui mène dans le donjon. Suis-moi.

    Nous nous relevons et marchons furtivement jusqu'à une petite porte en bois que j'ouvre discrètement. Je sortis mon arc offert par la Princesse au cas où et marche devant Tristan qui assure nos arrières. Je m'arrête brutalement face à un piège à ours qui aurait pu m'arracher le pied. Je décoche une flèche dessus. Il se referme immédiatement, le bruit du métal résonnant. Nous continuons d'avancer sans bruit jusqu'aux cages où sont enfermés les prisonniers. Quatre sentinelles surveillent le donjon. Je les embrocheraient bien à l'aide de mon arc mais je préfère rester cachée dans l'ombre et tenter une feinte. Dans une de mes sacoches, je garde en réserve quelques pierres. Premièrement, pour faire du feu même si je ne suis pas une grande spécialiste ; et deuxièmement, ça peut toujours servir. J'en sors une et la lance prudemment au fond du couloir d'en face. La feinte fonctionne, les sentinelles accourent dans un autre couloir. Nous pouvons avancer jusqu'aux cages. Je regarde l'intérieur de chacune d'entre elles mais elles sont toutes vides. Je ne comprends pas... Ma mère n'a pas pu être emmenée ailleurs. C'est le bureau le plus proche !

    -Elle n'est pas là..., dis-je avec une petite voix déçue. 

    -Je t'avais bien dit que c'était une perte de temps. Allez, viens.

    -Attends ! Elle est peut-être ailleurs !

    -Genre dans une salle de torture ?

    -Je préférerais que non mais je veux en avoir le cœur net.

    -Alors allons-y...

    Avant que les gardes ne reviennent, nous montons rapidement l'escalier et entrons dans le laboratoire qui est mystérieusement vide.

    -Toujours rien...

    Le regard de Tristan se pose sur un livre à la couverture de cuir.

    -Regarde, un journal, dit-il en le prenant.

    -Donne-moi ça.

    Je lui arrache presque des mains. C'est le journal du capitaine.

    "Nous avons enfin trouvé cette sale traîtresse ! Je savais qu'on ne pouvait pas faire confiance à Lynl... A cause d'elle, on aurait pu avoir de sérieux ennuis avec la justice. Elle avait commis plusieurs vols juste pour ses fichues recherches ! Moi qui la croyait digne de confiance... Mais tout va s'arranger, maintenant. On l'a retrouvée et elle est désormais notre prisonnière. Elle va voir ce que c'est de se payer la tête des Magiciens-Dragons. Je dois réfléchir à son châtiment final..."

    C'est pas vrai... Ma mère avait été torturée pour trahison et je n'en savais rien. Je commence à ne plus avoir d'espoir et à croire que ma mère a été exécutée. Je m'effondre sur le sol et sanglote sans avoir la force et l'envie de m'arrêter.

    -Grace..., me dit Tristan en me prenant par les épaules,  elle est peut-être encore en vie ! Calme-toi, on va la retrouver ! Viens, on va se faire repérer...

    -Vous, là ! crie une grosse voix. Stop !!

    -Et m...

    -Tais-toi, Tristan... n'aggrave pas les choses...

    -Mais qu'est-ce que tu racontes, Grace !

    Deux hommes en armures, armés de lances, nous regardent méchamment. 

     -Qu'est-ce que vous faites ici ?!

    -Je suis désolée, réponde-je.  Nous nous sommes égarés. Ca ne se reproduira plus.

    -Quittez ces lieux immédiatement ou nous devrons agir avec force !

    -Nous partons. Mais j'aimerais savoir une chose.

    Je relève la tête vers les deux gardes.

    -Est-ce que vous auriez vu une femme du nom de Lynl Merphel, ici ?

    -Oui, elle était encore là, hier. Elle a été exportée d'ici jusqu'au Tribunal de Flégher. Maintenant, partez !

    Nous obéissons et retrouvons nos chevaux que Tristan a laissé derrière un amas de buissons. Nous repartons sans trop savoir où aller. Je me sens patraque et désespérée. 

    -On devrait aller au Tribunal de Flégher, dis-je à Tristan. 

    -Grace...

    -Je pense que ma mère est là-bas !

    -Grace, même si elle est là-bas, on ne peut plus rien faire pour elle ! C'est trop tard !

    Je me sens trahie et délaissée. Je jette un regard noir à mon acolyte. 

    -Je ne te pensais pas capable de dire une telle chose... Très bien. Alors, j'y vais toute seule. Et n'essaie pas de me suivre !

    Furieuse, je pars au galop, les larmes aux yeux, sans entendre les protestations de Tristan. Il ne veut pas comprendre que ma mère est  tout ce qu'il me reste. Si je la perds, sauver le monde n'aurait plus aucune importance pour moi.

     

    Chapitre 4 : Lynl Merphel

    Je galope en direction du Nord, là où se trouve le Tribunal de Flégher. C'est un grand bâtiment blanc et or, semblable à un palais de justice, derrière un immense portail noir gardé par deux soldats. Je descends de mon cheval et m'avance d'un pas ferme vers les gardes.

    -Excusez-moi !

     

    L'un des deux hommes s'approche de moi.

    -Halte ! Que venez-vous faire ici, mademoiselle ?

    -Bonjour, je viens pour savoir si le procès de Lynl Merphel a eu lieu.

    Les deux lèvent un sourcil.

    -Pardon ?

    -Lynl. Merphel. Une quadragénaire brune aux yeux marrons, comme moi en fait.

    -Attendez. Vous êtes ?

    -Grace Merphel, je suis sa fille.

    -La personne que vous cherchez n'est pas ici. Vous avez dû vous tromper. Désolé.

    Je n'y comprends rien. Les Magiciens-Dragons m'auraient menti ? Pourquoi ? Ou alors ce sont ces gardes qui mentent. Hors de moi, je les bouscule et ouvre violemment le portail. Dans mon dos, les soldats protestent. L'un m'attrape par le bras et, d'un coup de poing, je l'envoie valser contre le portail. Je défonce d'un pied la porte principale. Les gardes, des femmes et des hommes s'enfuirent. J'attrape un soldat par le col et le menace :

    -Où se trouve Lynl Merphel ?

    Il tremble de peur. Quelles tapettes ces hommes..

    -Je sais pas de quoi vous...

    -OU EST-ELLE ?!

    Je sors mon couteau et lui met sous le menton.

    Il pâlit et commence à transpirer, clairement paniqué. Il crache enfin le morceau.

    -Prison n°163 !! C'est par là !!! Pitié, laissez-moi vivre !

    -Tu ne vaux pas la peine que je te tue.

    Je le pousse à terre et range mon arme en trottinant  dans la direction qu'il m'a indiquée. Je descends des escaliers, en bousculant toutes les personnes sur mon passage. J'arrive devant les prisons 159, 160, 161, 162, ... 163. Personne à l'intérieur. Je dois halluciner. Combien de fois va-t-on encore me mentir ?!

    -Tu cherches ta mère ?

    Je me retourne vivement. Devant moi se tient un grand homme très massif portant une imposante armure d'argent. Dans son dos, une immense épée. Ses grands yeux bruns trahissent sa nature humaine. Je n'aime pas son sourire en coin, un brin ironique.

    -Vous la connaissez ? demande-je. 

    -Certes, c'est moi qui l'a amenée ici.

    -Où l'avez-vous emmenée ?

    -Pourquoi je devrai te le dire ? Tu n'es qu'une gamine.

    -Dites-le moi.

    Je m'approche de lui et le regarde dans les yeux d'un air sérieux.

    -Pas la peine de me regarder comme ça ! Elle est en haut...

    -Si c'est encore un mensonge, je vous tuerais tous. Jusqu'au dernier.

    Je me précipite à l'étage, en espérant que ma mère n'ai rien. Elle m'expliquera ce qui s'est passé, pourquoi elle a fait des entorses à la loi.
    Mais... je ne pourrai jamais lui demander... puisque ce n'est que son corps sans vie que je trouve dans la salle de torture...

    Je me jette près elle en la suppliant de se réveiller. Je pleure, crie, insulte, supplie. Rien n'y fait.
    Derrière moi, j'entends un rire. Je me retourne, et vois l'homme de tout à l'heure. J'ai les yeux rouges et le visage humide.

    -Qu'est-ce qui vous fait rire ?! hurle-je. 

    Il ne me réponds pas. Il me regarde ironiquement de ses grands yeux bruns. Ca ne me plaît pas du tout. Je lui saute dessus et lui flanque un coup de poing en plein dans la mâchoire. Il s'écroule et caresse sa joue que j'ai dû casser. Je m'en fiche. J'ai frappé un inconnu mais se moquer de ma mère est intolérable. Il se relève et je vois avec effroi que son visage est parfait. Sa blessure a guéri en quelques secondes. Je savais que ça faisait partie des capacités d'un Magicien mais il n'en était pas un.

    -C'est tout ce dont tu es capable, Grace ?

    -Je ne crois pas vous avoir dit mon nom. C'est vous ? C'est vous qui l'avez tuée ?! Répondez-moi !!

    J'ai une envie de meurtre et de sang dans les veines, là tout de suite. Je veux lui faire payer, l'éliminer.

    -Elle nous a trahis.

    -Elle n'avait pas le choix !

    -Je vois que tu ne connais pas ta propre mère. Tu ne sais pas ce qu'elle a fait. Elle aurait pu nous attirer de graves problèmes !

    -Pourquoi l'avoir tuée !? Elle a eu un procès !

    -Ce ne sont pas ces stupides réunions et discours de juge qui arrangent les choses. Tu devrais le savoir.

    -Vous n'aviez PAS le droit !!! Je vais vous tuer !!!

    Sans réfléchir, je sors mon épée et lui saute dessus. Mon arme lui transperce le ventre. Il s'arrête de respirer. Je m'écarte. J'ai tué quelqu'un... Des animaux, des bêtes, des monstres et des dragons... mais jamais un humain. Je lâche mon épée et détourne les yeux.

    -Tu n'y est pas allée de main morte !

    Je me retourne et laisse échapper un cri en voyant son corps neuf et propre juste devant moi.Un sort d'immortalité. Je... J'ai compris...

    -Vous êtes... Bériah ? Le sorcier...?

    Il éclate de rire. Un rire à glacer le sang, à s'enfuir, à crier, à pleurer, à souffrir jusqu'à vouloir mourir.

    -Bien deviné ! Maintenant, je n'ai plus qu'à réunir assez d'énergie pour ressusciter mon armée ! Ah, c'est vrai ! C'est déjà fait.

    Les yeux ronds d'horreur, je comprends que tout ce que j'avais fait jusqu'ici n'a servi à rien. C'est trop tard. Je n'ai pas le temps de lui demander comment il a pu se fondre parmi les soldats sans qu'on le reconnaisse, je suppose qu'il a utilisé un sort de confusion ou je ne sais quoi. 

    -Enfin, pas vraiment. Tu es celle qui terminera le travail. Ton énergie est tellement puissante qu'elle aurait m'épargner 100 000 soldats !

    Je ne comprend rien. Moi ? C'est impossible. Tout ce que je sais faire, c'était tenir quelques armes à peu près correctement.

    -Tu ne le sais peut-être pas, mais tu possèdes en toi une grande puissance magique que tu tiens de ton père ! Tu as une énergie vitale impressionnante, ta durée de vie s'élève à près de deux cents ans !

    Deux cents ans ?! C'est une plaisanterie ? Et puis.. Je n'ai jamais connu mon père mais je sais qu'il était Mage. Pourtant je n'ai jamais su utiliser la magie, mes yeux ne sont même pas un peu bleus. Je regarde le corps de ma mère.

    -Grandis un peu, Grace ! Des morts, tu vas en voir ! Sauf si tu décides de te rendre.

    Là, je n'en peux plus. Ses moqueries, ses propos... J'en ai assez. Assez entendu, assez vécu, assez vu. Je sens une puissance incroyable m'envahir. Un mélange de haine, de tristesse, de mélancolie et d'envie de meurtre. Mon corps est soudain enveloppé par une flamme rouge. Je ne contrôle plus mon cerveau. Je veux juste tuer toutes les personnes qui vont se présenter devant moi. Et c'est ce que je fais. Je brûle tout. Lui, les invités, les gardes, les juges et le bâtiment tout entier. La terre autour a aussi brûlé. Les corps s'entassent. Je veux seulement avancer sans me retourner. Pourtant, c'est ce que je fais. Je me retourne et la colère me quitte. Je suis calmée et constate les dégâts. C'est moi qui ai fait ça... ? Je repense à ma mère. Des larmes coulent sans que je m'en rende compte. Je m'effondre sur le sol de neige, épuisée, anéantie... impuissante. J'entends un trot derrière moi mais je reste de glace. Pas besoin de voir pour savoir que c'est Tristan qui vient de me retrouver. Il descend de sa monture et s'élance vers moi.

    -Grace !

    Sa voix est dure, triste.. j'ai juste envie de mourir ici, dans la neige face au spectacle de feu qui se tient devant moi.

    -Grace, qu'est-ce qui s'est passé ? Dis-le moi ! Bordel, Grace ! Qu'est-ce que tu as fait ?!

    Je relève la tête. Il est agenouillé face à moi. Lui aussi pleure.

    -Où est ta mère ?! Elle était là ?!

    -Pour l'amour du Ciel, FERME-LA !!!

    Je l'ai dit. Je ne veux plus rien dire. Je ne veux plus jamais entendre "Lynl Merphel" ou "mère".ou "maman". Plus jamais.

     

    Chapitre 5 : Maman...

    Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés là, dans la neige comme des cons. A pleurer, impuissants devant le Tribunal en flammes. Pour moi, le temps s'est arrêté. La neige a fondu, les anges sont partis et rien n'existe plus. Je sens comme un vide, je-ne-sais-où. J'aurai sans doute pu mourir si Tristan n'avait pas enfin déclaré :

    -On doit y aller.

    Soudain, c'est comme si je reviens à la vie. La neige retombe, le temps reprend son cours normal et tout existe à nouveau. Je me relève, comme une grande et je monte derrière Tristan sur son cheval. On galope très longtemps. Nous sommes en fait retournés au "Traquenard du Guerrier" et ça me laisse indifférente que Tristan se souvienne du chemin à suivre pour y aller. Arrivés à destination, il m'aide à descendre. Sans plaisanter, j'ai oublié comment sourire. Pour moi, seul la morosité, la tristesse et le noir existaient à présent. Nous entrons dans l'auberge vide. Quand elle nous aperçoit, Serena se précipite vers nous.

    -Tristan ! Grace ! Vous n'avez rien ? J'ai eu si peur quand j'ai appris que le Tribunal avait pris feu !

    -Tu savais qu'on y était ? demande Tristan en levant un sourcil.

    -Oui. Ne me demande pas comment. Mais plutôt... tout va bien ?

    Ni moi, ni mon compagnon ne répondons. La jeune femme se tourne vers moi, l'air inquiet.

    -Ca va, Grace ? Tu as une drôle de tête. Et tu es... toute pâle.

    -Nous avons eu quelques soucis mais rien de grave, répond mon camarade à ma place.

    -Vous voulez passer la nuit ici ? demande la chanteuse. 

    -Ce serait pas de refus, réplique le brun. 

    -D'accord.

    Elle s'éloigne et fouille dans une commode puis revient avec deux clefs.

    -Tenez, les clés des chambres 6 et 13.

    -Je prends la 13, dis-je en saisissant l'une des clefs qu'elle nous tend. 

    -Grace, tu es sûre que ça va aller ? me demande Tristan. On peut en parler si tu v...

    -Non merci, ça ira, le coupe-je.

    Sans rien ajouter, je claque la porte de ma chambre et la ferme à double tour. Assise sur le lit, j’éclate en larmes en pensant aux souvenirs que j'ai avec ma mère, je me repasse le film de ma vie avec elle...
    Dehors, j'entend Tristan et la jeune chanteuse discuter de moi.

    -Ne me dis pas que c'est vrai... ? demande Serena.

    -Malheureusement, si. Elle est à bout de force. Je ne vois pas ce que je vais pouvoir faire.

    -Moi, j'ai une idée... Juste pour ce soir !

    Puis plus rien. Un silence qui me refait tomber dans la peur et la mélancolie. Après quelques minutes, j'entends un gros "paf" comme si on avait déplacer un objet lourd. Puis j'entend un piano. Un joli son. Et une voix féminine. Celle de Serena. Suivie de celle de Tristan. Une chanson sur les filles d'aujourd'hui. Je sors et reste bouche-bée quand je vois Tristan chanter un duo avec Serena, lui au piano et elle debout, les mains sur l'instrument de musique. Je ne savais pas que Tristan chante mais il a une belle voix ténor/basse. Je me laisse entraîner par la chanson, je tapote même le sol du pied en rythme. Quand la chanson est terminée, ils se retournent vers moi. J'allais rentrer dans ma chambre quand Tristan se leva et me prit par la main pour m'entraîner au centre de la pièce. Je retiens un soupir d'agacement, je crois que je n'ai pas le choix.. Je remarque qu'il y a à nouveau des clients, un duo d'hommes adultes et une femme seule avec un enfant. Je m'installe à contre cœur sur le tabouret du piano et dispose mes doigts sur les touches aigües. J'entame un chant de chorale que m'a appris ma mère. Un morceau que j'ai toujours adoré et qui me rappelle mon lointain chez moi. Quand il se termine, personne ne dit rien. Je sens seulement deux sourires.

    -Qu'est-ce que c'était ce chant de duo ? demande-je en me tournant vers la serveuse.

    Tristan et Serena se regardent. C'est la jolie brune qui me répond.

    -Un chant que j'ai écrit avec mon premier camarade de musique ; "Les Filles d'Aujourd'hui". Tu aimes ?

    -J'ai adoré. Est-ce que je peux... essayer ?

    Elle lève un peu ses sourcils, visiblement surprise. 

    -Bien sûr. Tu veux la partition ?

    -Non, ça va. Je l'ai retenue. Tristan, tu veux bien m'accompagner ?

    -Avec plaisir.

    Il s'installe face à moi et je commence. Mes doigts glissent tous seuls, le morceau n'est pas trop difficile mais j'ai l'impression de le connaître par coeur alors que je ne l'ai écouté que deux fois. 

    Nous avons encore plusieurs fois entamés le refrain et après d'autres notes, nous terminons. Mes yeux s'étaient fermés tous seuls et quand je les rouverts, les clients m'applaudissent en souriant. Mon sourire ne m'a pas quitté de la soirée. Nous avons bu quelques pintes de bière, nous avons encore chanté et dansé. C'était chouette je dois avouer. Épuisée, je pars me coucher. Tristan et Serena ont rangé le piano, nettoyé la salle puis sont partis dormir.
    Je vais mieux mais le silence peut me rappeler n'importe quoi. Y compris ma mère. Alors, en pleine nuit, je me lève et prends mon sac puis part sans rien laisser. Je ne sais même pas où je vrai. Je marchais encore au matin.

    Après une bonne nuit de sommeil, Tristan salue Serena et prit un petit-déjeuner. Après s'être préparé, il retourne vers la chanteuse.

    -Est-ce que tu as l'heure ?

    La jeune femme consulta une montre à gousset.

    -Il est midi. Tu devrais aller réveiller Grace où elle dormira toute la journée.

    -D'accord, j'y vais.

    Triste se dirige vers la chambre de sa bien aimée et remarque un détail inquiétant : sa porte n'est pas fermée à clef. Il appelle. alors Serena :

    -Ouvre, dit-elle.

    A l'intérieur, rien. Son sac est parti avec elle.

    -Elle est peut-être partie chasser ? propose Serena

    -Non, elle n'aurait pris que ses armes. Et puis, tu l'aurais vue, non ? Tu es levée depuis le petit matin.

    -C'est vrai. Mais je ne l'ai pas aperçue.

    -Ce qui veut dire qu'elle est partie dans la nuit.

    Il entreprit de fouiller rapidement l'auberge. 

    -Est-ce qu'elle aurait laissé quelque chose ? Un mot, un indice ?

    -Non, elle a tout pris ! Mais bon sang, où est-ce qu'elle est passée !?

    Soudain, Tristan eu un déclic après avoir réfléchit. Est-ce que son départ soudain était dû à l'horrible décès de sa mère ? Si c'est le cas, elle n'a pu aller qu'à un seul endroit.

    -Je sais où elle s'est rendue, déclare alors le Prêtre. 

    Il détale vers sa chambre pour prendre son sac, puis sort pour se diriger vers son cheval. Serena le suivait toujours. 

    -Où est-ce que tu vas ?

    -Elle est partie dans le Néer, retrouver l'endroit où elle a grandi.

    -Mais son cheval n'a pas bougé ! s'exclame Serena en pointant du doigt la jument. Tu es en train de me dire qu'elle est allée dans les Terres glaciales du Néer, à pied, toute seule ?

    -J'en ai bien peur. Et c'est pour ça que je dois à tout prix la rattraper. Sa résistance naturelle pour la température de là-bas ne va pas faire long feu après tout ce qu'elle a vécu.

    -Comment ça ?

    -Les capacités naturelles perdent de leur efficacité lorsqu'on est atteint psychologiquement.

    Il avait appris ça dans les nombreux livres de son frère passionné de lecture. 

    -Je viens avec toi ! dit Serena.

    -Pas question ! Tu sais quel temps il fait dans le Néer ?

    -Et toi alors ? C'est mon amie, je ne la laisserai pas mourir de froid !

    Tristan lève un sourcil.

    -Ton amie ? Tu es sérieuse ?

    -Je.. Elle n'est pas méchante je veux dire..

    Il reste méfiant, il sait parfaitement que la brune est morte de jalousie face à la relation des deux jeunes adultes. Malgré ça, Tristan pousse un soupir puis déclare :

    -Comme tu veux ; monte !

    La chose fut vite faite et ils commencent à galoper à travers les plaines qui deviennent peu à peu blanches.

    Je ne sais pas combien de temps j'ai marché. Je grelotte, ce qui n'est pas normal. Je relève la tête et vois ma maison, un maigre sourire illumine mon visage et j'avance un peu plus vite. Le froid a le dessus sur moi, ce que je ne comprends pas. Aurais-je réellement épuisé mes forces ?


    Tristan galopa le plus vite possible en direction du Nord. Il espérait intérieurement qu'il n'était rien arrivé de grave à Grace et que le froid ne l'avait pas emportée.

    -Comment sais-tu que c'est par là ? demande Serena à travers le vent.

    -Je suis un Devin ! Pour qui tu me prends ? On est bientôt arrivés, je le sens !

    Nous nous taisons, le sifflement du vent pour seul bruit de fond jusqu'à la fin du voyage. La température baissait rapidement et le jeune homme était de plus en plus inquiet. Il aperçut enfin une petite maison de bois et de pierre au sommet d'une colline. Le cheval s'accéléra et atteignis le sommet. Il descendit d'un bond et se précipita vers l'habitation, sa passagère sur ses talons. Il ouvrit la porte d'un coup sec. Rien à part Grace, qui grelottait sur le sol, gelée.

    Tristan s'empressa de la monter à l'étage où, au hasard, il la déposa dans une chambre. Serena s'occupa de chauffer de l'eau pendant qu'il essayait de réanimer Grace. Elle respirait mais le fait qu'elle ne se réveille pas l'inquiétait un peu plus. Serena entra avec un gros seau d'eau chaude et une serviette.

    -Tu peux lui faire un thé, s'il te plaît ? demandait le Devin.

    -Pas de problème.

    Elle redescendis pendant que Tristan s'occupait de réchauffer Grace avec l'eau.

    Je ne sais pas combien de temps j'ai dormi. Une heure ? Une journée ? Aucune idée. En me réveillant, je reconnais directement le matelas, les draps, les coussins. Je saute de mon lit en me demandant ce que je peux bien faire là et comment j'en suis arrivée ici. Je réfléchis longuement sur mon lit. Est-ce que Tristan était là ? M'avait-il suivie ?

    Tristan observait les bougies allumées posées sur une cheminée. Il se demandait si Grace allait mieux, si elle s'était réveillée. Il allait me mettre à marcher pour aller vérifier quand Serena rentra dans la pièce. Elle avait l'air de vouloir dire quelque chose.

    -Tout va bien ? lui demanda le brun.

    -Oui, oui, ça va. Merci, répondit-elle avec un sourire. 

    Après un long silence, elle reprit.

    -Pourquoi as-tu tant tenu à la rattraper ?

    -J'en sais rien. Ne me demande pas pourquoi, j'en sais rien. Je ne supportais pas de la savoir en danger. C'est tout.

    -Je pense que tu l'as fait par amour...

    -Sans doute.

    -Pour moi... Tu aurais fait la même chose ?

    Voilà le type de questions que Tristan détestait. Il les trouvais hautement égoïstes et même bourrées de jalousie. Comme si Serena avait voulu être à la place de Grace. Ou alors c'était un test pour savoir si il tenait à elle. Il ne savait pas quoi répondre. Serena n'était qu'une amie, bien sûr qu'il l'aurait aidée. Mais pas pour les même raisons. Il aimait Grace et appréciait Serena, bien qu'il l'ait très peu de temps aimée. Point final, le rideau se ferme, il n'y a plus rien à voir, tout le monde dehors !

    -Ben... Oui, tu es mon amie, alors... oui, je l'aurais fait aussi...

    Il rougissait d'une façon ridicule. Serena le regardait en souriant et il devait se retenir de lui hurler à la figure que c'était Grace qu'il aimait et que rien ne changerais. Grace était une fille absolument formidable : elle était forte, courageuse, douée et généreuse. Ses yeux noisettes l'avait littéralement ensorcelé et elle était d'une beauté à couper le souffle. Serena aussi était une jolie fille. Elle avait de beaux yeux vairons et une longue chevelure noire bouclée. Ses lèvres étaient d'un rose tendres mais pas aussi tendre que celles de Grace qui étaient si douces. Elle rougit quand elle vit que le jeune homme qu'elle aimait la regardait. Elle leva les yeux vers lui, le saisit doucement par le col de sa veste, se hissa sur la pointe des pieds et l'embrassa délicatement.

    J'en ai assez d'attendre. Je sens la présence de Tristan alors je sors de mon lit. Juste avant de partir, je vois un cadre. C'est  une peinture qu'un ami de ma mère avait peint pour elle. Une toile qui nous représentent, elle et moi. Je le fourre dans mon sac et descends les escaliers. J'aperçois alors Tristan, folle de joie. Ma bouche allait s'ouvrir mais se referme quand je vois qu'il n'est pas seul. Ma joie s'évanouit quand je comprends que c'est Serena qui l'embrasse fougueusement.
    Il se laisse faire. Il se laisse embrasser par cette petite peste de chanteuse à deux balles ! Je pourrais hurler et pleurer, lui demander en criant pourquoi il me fait ça. Mais non. J'affiche un sourire affreusement ironique et descend en m'exclamant :

    -Ah, là, là ! Je le savais ! Comment j'ai pu être aussi bête ? Franchement, je savais bien qu'il y avait un truc !

    Je ne suis pas fière de moi. Tristan me regarde avec des yeux ronds et énormes tandis que Serena détourne le regard, extrêmement gênée.

    Tristan n'était pas fier de lui. Sous ses yeux, il avait trahi Grace alors qu'il n'y a même pas deux minutes, il disait qu'il l'aimait, elle et seulement elle.

    Le plan de Serena avait plutôt bien fonctionné. Grace détestait Tristan désormais et elle n'allait pas tarder à s'en aller. Elle allait avoir Tristan pour moi seule !

    Je continue dans ma lancée, le sourire toujours aux lèvres et mon air enjoué :

    -Laisse tomber, Tristan ! C'est pas la peine de m'expliquer, j'ai déjà tout compris ! Mais bon, je ne voudrais pas me mêler de vos affaires !

    -Mais Grace... C'est pas ce que...

    -C'est pas ce que je crois ? Tu sais ce que je crois ? Tu penses pouvoir lire les pensées mais tu n'as aucune idée ce qui se trame dans ma tête ! Mais tout ce que je sais, c'est que je me retrouve en face de deux gros enfoirés !

    Sur ma dernière phrase, mon sourire s'est effacé et mes sourcils se sont froncés. Je regarde Serena de travers et je ssors de "ma" maison en claquant la porte si forte que les murs tremblent

    Tristan ne voulait pas y croire. Serena était horrifiée qu'on lui ai parlé de cette manière. Mais le Prêtre comprenait la colère de Grace.

    C'était incroyable ! Serena était horrifiée d'un tel langage et d'une telle colère. Mais au moins, maintenant, elle avait ce qu'elle voulait. 

    Je suis  épuisée. J'en ai assez de ces mensonges, cette mission... Ce destin est le pire qu'on puisse avoir ! Je préfère encore me livrer à Bériah plutôt que d'avoir à supporter toutes ces choses. Derrière moi, Tristan me courre après. Ca m'agace. Quand va-t-il me foutre la paix ?

    -Grace ! Attends, laisse-moi t'expliquer ! S'il te plaît !!

    Ses protestations ne m'atteignent pas. Il m'attrapa par le bras et je lui adressa une belle claque. Malgré mon geste qui le laissa indifférent, il continua de me serrer le poignet tout en me parlant :

    -Ecoute-moi, pour l'amour des dieux. C'est toi que j'aime, Serena n'a pas su se contenir, je pense et je n'y peux rien ! Tu comprends ? Je le sais ! Je le vois dans ta tête que tu veux pardonner mais tu n'y arrives pas ! Je sais que...

    -Mais TAIS-TOI !! Laisse ma tête TRANQUILLE ! Laisse-moi partir, oublier et mourir en paix !!!

    Je n'en pouvais plus. J'avais lâché le paquet, je voulais qu'il comprenne que j'en ai assez de le voir et de lui parler.

    Je n'en revenais pas. Elle ne voulait rien entendre, pour de vrai. Je ne pouvais rien faire, elle m'avait convaincu.

    J'assistais au loin à la scène. Grace ne voulait définitivement plus parler à Tristan. Elle lui en voulait à mort.

    Je monta sur l'étalon noir de Tristan.

    -Où est-ce que tu vas ?

    -Je retourne à Walandriah ! Là-bas, il y a des personnes qui pourront m'aider. Au fait, je vais également annoncer à Elena que sauver le monde, c'est pas pour moi !

    Sans dire un mot de plus, je partis au galop, les larmes aux yeux.

    Elle était partie. Pour de vrai. Sans elle, Mélorah était condamnée. Ainsi que le reste du monde.

    C'est encore mieux que ce que je pensais ! Il fallait que je tente ma chance, maintenant ! Je me suis approchée de Tristan.

    Serena s'est approchée de moi. On aurait presque dit qu'elle s'en fichait que Grace soit partie.

    -Et bien, commença-t-elle, maintenant qu'elle n'est plus là...

    J'eus comme un choc. "Maintenant qu'elle n'est plus là" ?! Comme si c'est ce qu'elle attendait depuis le début ! Je lui fit part de ce que je pensais :

    -Comment ça ? Ne me dis pas que c'est ce que tu voulais ! Qu'elle s'en aille !

    -Mais non, pas du tout...

    -Elle avait raison ; tu n'es qu'une garce ! Et laisse-moi rajouter à ça que tu es jalouse ! Tu es jalouse de Grace !

    Pour en être sûre, je lui saisis le poignet pour lire dans son esprit. J'avais vu juste. Tout ce qu'elle attendait, c'est que Grace parte pour profiter de moi !

    -Tu es répugnante ! Une vraie gamine !

    Je lui lâcha le poignet d'un coup sec et ajouta avant de me retourner :

    -Tu me dégoûtes...

    Et je partis en direction de Walandriah, où était partie Grace.

    J'étais stupéfaite. Tristan avait conscience de mon plan ! A cause d'une simple erreur de ma part, toutes mes chances avec lui étaient tombées à l'eau. Ses mots m'avaient blessée. Ca faisait des années que j'étais amoureuse de Tristan et voilà comment ça finit ! Plus rien n'allait. Qu'est-ce que j'allais faire maintenant ? Retourner à l'auberge et finir ma petite vie misérable ? Non... Je ne pouvais pas vivre avec une telle blessure. C'était impossible...

    Tout allait de travers. Entre Tristan, Serena, ma mère et Bériah, je ne savais plus quoi faire. Après avoir annoncé mon échec à Elena, qu'allais-je devenir ? Je pourrai bien me retirer de la profession de mercenaire et me faire engager à l'Auberge des Cents Chants jusqu'à la fin de ma vie. Chanter, servir les clients. Et puis, je cuisinais convenablement. Pour le moment, je devais simplement rentrer à Walandriah et parler à la Princesse. C'est tout ce que je devais faire.

    Par chance, sur la route, je croisa un marchand qui espérais pouvoir vendre son cheval. Je lui acheta et continua ma route au galop. J'avais l'intuition d'être aller trop loin avec Serena. Mais elle avait eu ce qu'elle méritait. Elle était égoïste, jalouse. Je ne voulais plus jamais avoir affaire à elle.

    En arrivant à la capitale, je me fraya rapidement un chemin jusqu'à l'Auberge des Cents Chants. Les portes étaient ouvertes mais le bâtiment était vide. Valérica nettoyait le comptoir. Lorsqu'elle m'aperçut, elle écarquilla les yeux de surprise et se jeta sur moi.

    -Oh, le Ciel soit loué, Grace ! Tu n'as rien !

    Elle me serra dans ses bras au point que j'étouffais. Elle s'écarta et me regarda.

    -Mais qu'est-ce que tu fais ici ? Tu n'es pas dans le Néer ? Et où est Tristan ?

    -Heu... Il est derrière moi... Mais, comment tu sais que j'étais dans le Néer ?

    -J'ai envoyé des oiseaux pour te retrouver.

    Je la regarda d'un air du genre "Oh, Valérica, c'était pas la peine, voyons !" et elle comprit.

    -Je sais, je sais. J'en ai fait un peu trop. Mais je m'inquiétais pour toi, j'avais peur qu'il ne te soit arrivé quelque chose...

    -Oh, merci.

    -Je t'offre à boire ?

    -Avec plaisir, je suis lessivée !

    J'entre alors dans l'auberge en sa compagnie et je m'assis au comptoir sur un grand tabouret. Elle sortit une bouteille de bière étoilée et un verre qu'elle posa devant moi. Elle me servit un verre rempli aux trois quarts et je le bus en deux gorgées. Valérica enfila une veste.

    -Je dois aller faire quelques courses avant que le patron ne revienne. Tu restes là ?

    -Oui. Ne t'inquiète pas, je serai sage !

    Elle me sourit et sortit. Je lui ai quelque peu menti car en son absence, j'ai vidé près de cinq bouteilles de bière étoilée.

    Je suis vite arrivé à Walandriah. J'étais soulagé en voyant mon cheval devant l'Auberge des Cents Chants. Grace était bien arrivée. Je descendis de ma monture et m'élança dans l'auberge. Je découvris Grace, affalée sur le comptoir, une bouteille de bière à la main et un verre dans l'autre. Je m'approcha et lui secoua l'épaule.

    -Grace ! Hé, Grace, tu m'entends ?!

    Elle se réveilla d'un seul coup, ce qui me fit sursauter. Elle me regarda, presque effrayée.

    -Tristan ?! Mais qu'est-ce que tu fous ici ?!

    -Je ne pouvais pas te laisser rentrer toute seule ! Écoute, je m'excuse ! Ce que tu as vu n'était qu'un grand malentendu.

    Son regard s'adoucit mais ses sourcils étaient toujours froncés.

    -Pourquoi tu l'as laissée faire ?

    -J'en sais rien. Sur le coup, j'ai pas réalisé. Je suis vraiment désolé... C'est toi que j'aime, Grace.

    -OK...

    J'allais me pencher pour l'embrasser mais elle prit un air interrogateur et me repoussa.

    -Minute. Où est Serena ?

    -Heu... Elle est... restée chez toi..., dis-je d'une toute petite voix.

    Grace était horrifiée.

    -Tu.. Tu as fait quoi ?! Tu as laissé une jeune magicienne dépourvue de pouvoirs, seule, sans capacités à combattre le froid glacial du Néer ?! Tu es complètement inconscient ! Elle peut mourir de froid à n'importe quel moment ! Elle doit être gelée à l'heure qu'il est !

    -Ne t'inquiète pas, le feu était dans la cheminée et il y avait des couvertures en peau de Loup Mélhorien partout dans les placards ! Elle va s'en sortir, tu verras...

    Je l'embrassa pour la rassurer mais le baiser ne dura pas longtemps. Elle empestait l'alcool.

    -Je ne sais pas si ça lui suffira. On ira la chercher demain.

    -Grace, c'est quoi toutes ces bouteilles ? dis-je en désignant l'alcool.

    -Oh, ça c'est... rien du tout.

    -Grace, tu as profité de l'absence de Valérica pour te saouler ?!

    -Oh, mais qu'est-ce que ça peut faire ! J'ai perdu ma mère, au cas où tu l'aurais oublié ! J'ai le droit de me laisser aller ! Maintenant, fiche-moi la paix.

    Je me leva, furieuse. L'alcool avait prit possession de mon cerveau et je passais du calme à la colère et vice-versa. Je monta sur l'étalon noir de Tristan.

    -Où tu vas, comme ça ?

    -Prendre l'air. Ca te pose un problème ?

    -Tu es complètement ivre, il est hors de question que je te laisse aller où que ce soit.

    -Essaie un peu de m'empêcher.

    Sur ce, je partis au galop en direction des petites plaines.

    Génial ! Encore une fois, elle me fuit ! Ses caprices commençaient à m'agacer mais en même temps je la comprenais. Sa mère était morte, il y avait un affreux malentendu entre elle et moi et sa quête avait quelque peu échoué. Rajoutons à cela sa consommation abusive de bière étoilée. Sa colère était presque trop forte. Valérica vint alors à ma rencontre.

    -C'est bien Grace que je vient de voir partir ?

    -Ouaip. Elle a bien consommé, dis-moi ! Regarde ce qu'elle a bu.

    La serveuse se retourna et examina la scène de crime.

    -Super. Six bouteilles à remplacer.

    Elle me fixa d'un air sérieux et elle me coupa d'un ton sec quand j'allais lui demander ce qui n'allait pas.

    -Mais rattrape-la, gros malin ! Elle est complètement bourrée, elle ira pas loin !

    Je monta alors sur mon cheval et prit la direction des plaines où elle s'était rendue, sans doute.

    Je ne regardais pas devant moi. J'avais le visage collé à la crinière de charbon de l'étalon. Donc je ne vis pas la jument couleur crème chevauchée par un garçon de mon âge qui me fonçait dessus.

    Chapitre 6 : Serena

    J'ai été éjectée à plusieurs mètres. J'ai atterri près de mon cheval. J'ai cru que j'allais m'évanouir sous le choc. Le garçon qui m'a renversé a couru vers moi et m'a aidée à me relever.

    -Ca va, rien de cassé ?! Je suis vraiment désolé, je regardais pas où j'allais !

    -Non, c'est moi. J'étais un peu sonnée.

    Il me regarda et je fis de même. Il avait des yeux noirs, des cheveux châtains courts et une peau mâte. Il était plus grand que moi. Il portait une chemise de fermier blanc cassé sous une veste de lin assortie à ses yeux. Et il me disait vaguement quelque chose.

    -Grace ?! dit-il enfin.

    -On se connaît ?

    -Mais oui ! Tu ne me reconnais pas ? Marco !

    -Ah oui ! Marco ! Mais qu'est-ce que tu fais à Walandriah ? Je ne pensais pas te revoir un jour !

    -Moi aussi j'ai quitté le Néer pour de nouvelles découvertes !

    -Comment vont tes parents ? Et tes frères ?

    -Très bien, je t'assure ! Et toi, ta mère ?

    La question me bouscula un peu. Comment allais-je lui dire que ma mère était subitement morte ? Ses frères étaient tous les deux des Magiciens-Dragons, j'ai préféré lui mentir.

    -Elle est en pleine forme. Mais...

    -Grace !

    Sans me retourner, je reconnu Tristan qui m'avait rattrapée. J'en avais assez. J'avais un cobaye sous la main,  j'allais lui faire payer. Je regarda Marco d'un air insistant.

    -Embrasse-moi !

    -Que... quoi ?!

    -Embrasse-moi maintenant !!

    Voyant qu'il ne réagissait pas, je pris son visage entre mes mains et l'embrassa.

    Je m'approcha de Grace, mon étalon derrière moi. Je vis quelqu'un avec elle. Un jeune homme qu'elle embrassait. Je ne comprenais plus rien. Avait-elle décidé de se venger ? C'était sans doute ça. Mais on n'embrasse pas un inconnu comme ça. Elle le connaissait sûrement. Je me suis avancé plus près d'eux.

    -Euh... Hum, hum ! Grace, Valérica te cherche partout.

    -Ah ! Tristan, tu m'as fait peur ! Heu... Laisse-moi te présenter Marco, un vieil ami.

    -C'est un plaisir, dit Marco en lui tendant une main.

    -Et moi donc, répondit Tristan en ignorant la main de Marco, Grace, tu viens ?

    -Marco, je me suis installée à l'Auberge des Cents Chants. Ah, mais tu étais en route ! Accompagne-nous !

    -Pourquoi pas !

    Je vis le regard noir de Tristan sur Marco et je faillis éclater de rire. Tristan jeta un regard sur mes jambes écorchées.

    -Qu'est-ce qui t'es arrivé ?

    -Rien, j'ai trébuché.

    -Je t'avais dit de ne pas prendre le cheval !

    -Arrête, je ne suis pas en sucre !

    Je calma ma monture encore un peu chamboulée et je remonta dessus en direction de Walandriah. Je chevauchais à côté de Marco tandis que Tristan galopait derrière. J'étais fière de moi, j'avais réussi à le rendre jaloux. Mais sans vouloir lui voler ses pouvoirs de Devin, j'étais sûre qu'en rentrant, lorsque personne ne nous écouterait, il viendrait me demander ce qui m'a pris. Et ma prédiction s'annonça juste après être rentrée et incendiée par Valérica à qui je devais 6 bouteilles de bière étoilée. J'étais installée dans une chambre quand Tristan frappa à ma porte. Il ouvrit et se planta devant moi.

    -Tu m'expliques ?

    -Il n'y a rien à expliquer.

    -Tu te moques de moi ? C'est une vengeance, c'est ça ? Tu avais un "vieil ami" sous la main et tu t'es dit que tu pouvais t'en servir pour me rendre jaloux, je me trompe ?

    Je ne dis rien. J'avais un sourire en coin, ce que j'aurai préféré ne pas avoir. Il me fixait, comme si il n'allait pas me lâcher jusqu'à ce je déballe tout. Mais j'en avais assez de mentir.

     -Bon, c'est vrai. Je l'avoue. Mais tu l'avais bien cherché.

    -Comment ça ?

    -Tu sais très bien de quoi je veux parler. Tu as eu ta part avec Serena, alors je fais de même avec mon cobaye !

    -Pourtant, je t'ai déjà expliqué que ce n'était qu'un malentendu !

    -Tu le méritais quand même. Et puis... je... j'en avais besoin.

    -Pardon ?

    Je ne rajouta rien. J'aurais aimé que Tristan comprenne que, pour moi, il n'était pas assez présent. Apparemment, il n'en avait pas l'idée. Enfin, c'est ce que je croyais.

    -Tu n'as rien compris ? Pourquoi crois-tu que j'aurai insisté pour t'accompagner au tout début de l'histoire ? Pourquoi j'ai tenu à aller te chercher quand tu étais retournée dans le Néer ? Mais parce-que je t'aime ! Je t'aime comme je peux ! Je fais tout ce qui m'est possible pour te suffire mais visiblement, je ne te suffis pas !

    Je ne savais pas quoi dire. Mais vraiment pas. Enfin bon, je l'aurai senti si il m'avait menti à cet instant-là. Alors il s'est penché vers moi et m'a longuement embrassée avant de me renverser sur le lit et continuer. J'ai commencé à lui enlever sa veste mais un coup à la porte nous a interrompus. Tristan se leva et alla ouvrir. C'était Valérica qui avait une sale mine.

    -Tout va bien, Valérica ? questionna Tristan.

    -Ca ne me concerne pas vraiment, honnêtement, je m'en fiche mais je crois que vous avez un problème.

    Elle tendit à Tristan une lettre. La chanteuse repartit et il referma la porte. Il s'assit à côté de moi sur le lit et déplia la feuille de papier. Ca venait de Serena. Tristan commença à lire à voix haute.

    "Tristan, Grace,

    J'aimerai m'excuser pour tout ce que j'ai fait. J'ai été égoïste, jalouse ; une vraie gamine ! Mais maintenant, c'est fini. Je ne vous embêterai plus. A l'heure où vous lisez cette lettre, je suis sans doute déjà morte. Ne t'inquiète pas, Grace, je n'ai pas sali ta maison.

    Je vous souhaite bonne chance.

    Serena"

    Tristan mit la tête dans ses mains et je resta sans voix. Serena s'était suicidée ? Par notre faute ? Parce qu'elle regrettait ses actes ? Non, elle n'avait pas pu faire ça.

    -Mon Dieu, qu'est-ce qu'on va faire ?

    -On peut rien faire. T'avais raison, dit-il avec un sanglot, j'aurai jamais dû la laisser seule là-bas !

    Il éclata en larmes et je le prit dans mes bras pour le consoler.

    -Ce n'est pas de ta faute, lui dis-je, c'est moi ; je n'aurai pas dû partir comme je l'ai fait. On aurait dû aller la chercher ce matin !

    Chapitre 7 : Le journal de Lynl

    Quelques jours après le décès de Serena, sa famille est arrivée à Walandriah faire le deuil. J'étais à leur côté lorsqu'un Prêtre prononçait des paroles débiles sur les retrouvailles entre Serena et Dieu, son "créateur". Ca a duré des heures et à la fin, j'étais crevée. J'ai rassurée une dernière fois la famille de la jeune défunte et je suis repartie à l'auberge avec Tristan qui étais resté là aussi.

    -J'espère qu'ils s'en remettront, dis-je.

    Après un silence, je demanda à Tristan :

    -Comment as-tu rencontré Serena ?

    Il soupira et me répondit tristement :

    -Il y a quelques années à peine, je suis retourné en Mélorah pour rapporter un truc au Duc d'Arphel. Le soir, je me suis installé dans l'auberge pour la nuit. Et j'ai entendu Serena chanter. Elle avait une voix tellement belle. Bon, je ne te cache pas qu'il s'est effectivement passé quelque chose entre nous.

    -Raconte-moi, dis-je avec un calme qui l'étonna. Il devait se demander comment je pouvais lui demander ça alors que quelques heures plus tôt, je le haïssais pour avoir embrassé Serena.

    -OK. On a donc chanté toute la nuit. J'étais tellement ivre que je suis tombé amoureux de Serena. Chez les Prêtres, l'alcool s'estompe vite et j'ai rapidement repris mes esprits. Mais je l'aimais toujours. Alors, on... on a passé la nuit ensemble et... je suis reparti le lendemain. Je ne l'ai jamais revue jusqu'au jour où je suis retourné à l'auberge avec toi. A ce moment-là, je pense qu'elle avait compris. Elle savait qu'il y aurait un truc entre toi et moi. Alors elle devenue jalouse. Elle a dû être plus qu'heureuse quand j'ai accepté de chanter avec elle le soir où ta mère est décédée. Et quand tu étais inconsciente, elle a décidé de passer à l'action. Je n'arrive toujours pas à croire qu'elle m'aimait toujours après... 3 ans, je crois. Je l'avais presque oublié. Et puis... tu es arrivée. Et aujourd'hui, elle est morte.

    L'histoire m'avait presque laissée insensible. Si Serena et Tristan avaient eu leur histoire, je pouvais bien pardonner à Serena la bêtise qu'elle a commise. Mais maintenant il était trop tard. Elle était morte et ne pourra jamais s'excuser et moi non plus. En fait, c'était plutôt moi la gamine dans cette histoire. J'avais honte. J'avais besoin de quelque chose mais je n'arrive pas à savoir quoi. Puis je rentra à l'auberge et m'assis au piano en bois qui trônait au fond de la salle. Je partis sur un chant anglais que ma mère chantait à Noël. Un chant magnifique plein d'espoir. Accompagné d'un violon, il était encore plus beau. Maman disait que ce sont les anges qui ont inventé cette chanson. J'étais d'accord avec elle et je le suis toujours. Après ça, je suis restée assise un instant puis je suis remontée dans ma chambre. Sur mon lit, je trouva un papier sur lequel était écrit mon nom. Je le déplie et découvris avec effroi qu'il était écrit dessus "J'ai déjà gagné" d'une main que je ne connaissais pas. De qui ça pouvait bien être ? De... Bériah ? Au même moment, Tristan entra et je sursauta. Je cacha la lettre dans ma poche arrière et lui adressa un sourire forcé.

    -Tout va bien ? me demanda-t-il.

    -Euh, oui, ça va ! Enfin, non, heu je veux dire... oui...

    -Tu es sûre ? On dirait que tu as reçu quelque chose de très peu plaisant.

    Mince ! Si il me touche il va lire mes pensées et comprendre ! Trop tard, il me saisit le poignet en me transperçant de ses yeux crépusculaires.

    -Montre-moi cette lettre, me dit-il.

    Impuissante, je dirigea ma main tremblante vers ma poche mais Tristan me prit de vitesse. Il sortit le papier et le lit. Son expression dure comme la pierre ne changea pas. Il me regarda et dit :

    -Tu n'es pas en sécurité Grace.

    -Je ne le serai nulle part et jamais.

    -Il y a un endroit mais...

    -Tu penses à quoi ?

    -L'Angleterre. Ma terre natale. Là-bas, on te fichera la paix. Personne ne pourra te faire de mal.

    -Tu connais ma réponse, Tristan. Je n'irai pas ailleurs que Mélorah. J'ai une mission et je tiens à la remplir.

    -Tu ne m'avais pas dit que tu souhaitais abandonner ?

    -Certes, mais... je me suis rendu compte que ce n'est pas la meilleure chose à faire. Je veux continuer. Avec toi.

    -D'accord. Mais laisse-moi veiller sur toi.

    -Comme tu veux.

    Il posa sa main sur ma joue et m'embrassa. Cette fois, personne ne vint nous interrompre. A aucun moment. Je m'endormis dans ses bras, épuisée par les récents évènements.

    Quand je me réveilla, j'étais seule. Je me rhabilla et descendit dans la salle principale bondée. Valérica chantait et Tristan discutait avec le patron. Je le rejoint au comptoir et me joint à la conversation. Ils étaient partis sur un débat comme quoi la bière était bien meilleure nature. Bien sûr, je n'étais pas d'accord avec Tristan. Le patron avait raison, elle était bien meilleure étoilée. Tristan était ironiquement vexé et nous nous sommes lancés dans un fou rire interrompu par l'arrivée de Marco. Je l'avais presque oublié ! Je redoutais que Tristan soit désagréable, mais à ma grande stupéfaction, Marco s'assit à côté de lui et ils se serrèrent la main en souriant comme si ils étaient les meilleurs amis du monde. Marco se tourna vers moi et m'adressa un sourire.

    -Salut, Grace !

    Il commanda une bière et Tristan prit la parole :

    -Toi aussi, tu préfères la bière nature ?

    -C'est la meilleure !

    -Ah tu vois Grace que je ne suis pas seul ! dit-il en se tournant vers moi.

    Mais je ne répondis pas.  Mes yeux étaient perdus dans le vide, ce qui inquiéta Tristan qui m'avait posé une question et, voyant que je ne répondais pas, me secoua l'épaule.

    -Grace ? Hé, Grace ! Tu as écouté ce que j'ai dit ?

    -Hein ? dis-je en reprenant mes esprits, euh, oui oui j'ai entendu.

    -Alors ?

    -Quoi ?

    -Je te demandais ce qu'on allait faire pour les chevaux !

    -Quoi, les chevaux ?

    -Tu as pris le mien, le tien a disparu mais j'en ai racheté un ! Qu'est-ce qu'on fait ?

    -Eh bien... tu n'as qu'à reprendre Félix et je garde le nouveau.

    Il me regarda d'un air interrogateur.

    -Je ne me souviens pas t'avoir dit le nom de mon cheval ?

    -Ah ? Euh, tu as dû le dire à voix haute quand j'étais à côté de toi.

    En vérité, moi-même je ne savais pas comment j'avais pu dire spontanément le nom de son étalon noir que jusqu'ici je ne connaissais pas.

    -Tu l'as peut-être contaminé avec tes pouvoirs de Devin ? plaisanta Marco.

    -C'est possible. A quoi je pense, Grace ?

    Il me tendit sa main où je posa la mienne. Je ne sentis rien. Enfin presque. Je vis du sang et des gens que je n'avais jamais vu au sourire cruel. Le malaise me prit. Je tomba à l'arrière de mon tabouret. J'essayai de me reprendre. Je ne comprenais pas ce que voulait dire cette étrange vision mais rien de bon. Avait-elle un rapport avec Tristan ? Avec Marco ? Pour le moment, rien ne me permettais de le dire. Seul importait la main de Tristan sur mon bras et les doigts de Marco qui claquaient devant mes yeux perdus.

    -Grace ! Grace, ça va ? Qu'est-ce qui t'arrive ? Grace !

    -Je crois qu'elle a pas vu un super truc dans ton esprit..., dit Marco, elle a vraiment pas l'air bien.

    Valérica accourra vers nous.

    -Que se passe-t-il ? Ca va, Grace ? Tu ne t'es pas fait mal ?

    -Euh.. Non, non... euh, ça va.

    Je me releva doucement, ramassa mon tabouret et le remit à sa place. Marco se rassit tandis que Tristan me regardait toujours, mort d'inquiétude. Je me rassit.

    -Grace, qu'est-ce que tu as vu ? me demanda-t-il.

    -Heu... je... je ne sais pas trop... c'était flou.

    -Alors pourquoi tu as réagi comme ça ?

    -Hum, c'est comme si... le flou m'agressait !

    -Tu es vraiment sûre ?

    -Oui, oui, ne t'en fais pas. Tout va bien, je t'assure.

    J'étais la pire des menteuses. Mais qu'allais-je lui dire ? Que je l'ai vu mourir ? Serait-il vraiment possible que ses capacités de Devin aient été transférées dans mon organisme ? Si c'était le cas, cela me laisserait indifférente. Mais enfin, pour le moment, je ne pouvais pas en être sûre. Si ça se trouve, c'était juste un malheureux hasard. Même si ma vision ne m'a plus rassurée. Une fois dans cette histoire, j'aimerai bien apprendre une bonne nouvelle ! Depuis l'autre jour, tout ce que je sais, c'est que ma mère et Serena sont mortes, Bériah est vivant, et j'ai eu une vision glauque ! Super ! Autant aller se pendre maintenant ! Au bout d'un moment, Tristan remonta à l'étage et Marco se décala d'un siège pour s'asseoir à côté de moi.

    -T'as vraiment pas l'air dans ton assiette, toi ! me dit-il.

    -Je suis juste un peu fatiguée.

    -Oh non, ma belle, t'es pas "juste un peu fatiguée", tu es complètement claquée ! Tu peux tout me dire, tu sais. Je suis tout ouïe !

    -Je n'ai rien à dire. Merci de ton attention, Marco.

    Sur ce, je me leva et sortit de l'auberge. Je devais prendre l'air ou quelque chose dans ce genre. Puis soudain, j'eus une sensation étrange. Comme si un truc très important était resté dans le Nord, dans le Néer quand j'en suis partie. Sans réfléchir, je monta sur mon nouveau cheval et galopa en direction des terres glacées. Il me fallu une demi-heure pour y arriver. Je ne retournais pas dans ma maison, je voulais juste fouiller la terre. Au loin, je vis une épaisse couche de neige. Ce n'était pas une colline, quelqu'un avait enterré quelque chose à cet endroit. Quelque chose d'important. N'ayant pas de pelle sous la main, je dus me résoudre à enlever la neige à la main. Étant Néerienne, le froid ne m'atteignais pas. Même si à la fin, j'avais les doigts bleus. Mon action porta ses fruits. Sous la couche était cachée une boîte rectangulaire. Je la prit et l'ouvrit. Elle contenait un journal.

    Quand je redescendis, Marco était seul.

    -Où est Grace ? lui demandai-je.

    -Aucune idée, me répondit-il, elle est partie il y a une heure sans me dire où elle allait.

    -C'est pas vrai, elle a encore...

    Je m'interrompis, la voyant arriver à cheval.

    -Je vais dans ma chambre, si vous me chercher, dit Marco.

    Et il monta. Je me planta devant Grace. Elle faisait une tête à faire peur. Elle était bleue de froid, les cheveux en bataille et le teint tout pâle. Bien plus pâle que d'habitude.

    -Où étais-tu ? Ca va ?

    Elle ne me répondit pas. Elle me tendit juste une sorte de bouquin.

    -Qu'est-ce que c'est ?

    Après un moment, elle me répondit en me regardant d'un air grave.

    -Le journal de Lynl Merphel.

    Il me regarda comme si je venais de lui annoncer que la fin du monde était demain. Il prit le journal, les mains tremblantes. Il l'ouvrit puis le feuilleta. Je savais que Tristan pouvait connaître le contenu d'un bouquin rien qu'en le touchant mais peut-être qu'il y avait des exceptions ou qu'il ne pouvait tout simplement pas. Il s'arrêta à une page qu'il lut attentivement et en resta blanc comme un linge. J'ai cru qu'il allait s'évanouir.

    -C'est.. Mais... non, c'est impossible !

    -Qu'est-ce qui est impossible, dit Marco en se plantant à côté de moi.

    -J'ai trouvé le journal de ma mère.

    -Quoi ? T'es pas sérieuse ! Et qu'est-ce que ça dit ?

    -Quelques notes, des recherches et... le poison pour me remplacer.

    Marco se figea, tel une statue.

    -Pardon ? Donne-moi ça, ça veut dire quoi, ça ?

    Il arracha le livre des mains de Tristan et lut la page concernée. Il ouvrit des yeux si écarquillés qu'ils auraient pu sortir de leur orbite.

    -Attends, c'est quoi ce bordel ? C'est quoi, ce charabia ? C'est vraiment Lynl qui a écrit ce truc ?

    -Je reconnaîtrai son écriture entre milles. 

    -Et ça veut dire quoi, cette potion de remplacement ?

    -Je me suis rendu compte de ce qu'était véritablement ma mère. Elle savait TOUT. Absolument tout. Depuis ma naissance, elle avait conscience des évènements qui allaient se produire 21 ans plus tard. Elle a créée ce poison et maintenant, Bériah va vouloir mettre la main sur ce journal.

    -Ta mère savait tout ? Mais je croyais qu'elle était humaine, pas Devineresse !

    -Elle m'a cachée sa vraie nature. Elle m'a TOUT CACHE !! Comment a-t-elle pu faire une chose pareille ?!

    -Grace, elle a fait ça pour te protéger ! Elle a créée le poison pour que tu ne meures pas entre les mains de Bériah !

    -Oui ! Et maintenant, on est dans la merde ! Il sait tout, Tristan ! Il est omniprésent ! Il sait, il me voit tenir ce foutu journal entre mes mains !

    -Je ne le qualifierai pas trop de dieu, plaisanta Marco.

    Mais je n'étais pas d'humeur à rire. L'heure était grave, très grave.

    -Qu'est-ce qu'on peut faire, alors ? demanda-t-il, sérieux.

    -Il n'y a qu'un seul moyen de se débarrasser de cette chose sans la détruire, dit Tristan.

    -Cause toujours.

    -Il faut le sceller dans une grotte souterraine magique.

    -Une grotte ? Mais pourquoi ?

    -Grâce à la magie, on peut creuser un trou dans la terre à plusieurs kilomètres, lui créer une formule extrêmement complexe et sceller le trou sans en laisser aucune trace. Autrefois, on l'utilisait pour cacher les trésors royaux. Le problème, c'est qu'on a pas de Magicien...

    On réfléchit quelques minutes et Marco s'écria :

    -Ton père ! Grace, ton père était un Magicien, non ?

    -C'est hors de question ! Jamais je n'essayerai de retrouver mon père ! Plutôt mourir !

    -Grace, on n'a pas le choix !

    -Mais on ne sait même pas où il est !

    -Tristan, tu ne peux pas le localiser ?

    -Désolé, je ne peux trouver que des personnes que j'ai déjà touché ou vu matériellement.

    -Il y a un portrait à la fin du journal.

    -C'est lui ! Seran... Il s'appelle Seran Merphel ! Eh, ma belle, je suis sûr qu'avec un peu d'efforts, on réussira à lui mettre la main dessus !

    -Ah, là là, je suppose que je dois obéir à vos caprices au doigt et à l’œil ! Bon, très bien, si vous insistez...

    -Où est-ce qu'on pourrait commencer à chercher ?

    -Dans l'Ouest. A Dragologia. Je sens qu'il est là-bas.

    -Ah non ! Pas la capitale des Magiciens-Dragons ! Je n'ai pas envie de tomber sur mes frères !

    -J'ai accepté ta demande, tu acceptes la mienne !!

    -OK, pas le peine de t'énerver. On part quand ?

    -Maintenant.

    Nous nous sommes dirigés vers l'extérieur et avons préparés nos chevaux. La jumelle crème de Marco, une dénommée Lysana, était d'une beauté éclatante qui ferait pâlir de jalousie toutes les autres juments de l'écurie. Tristan est monté sur Félix, son magnifique étalon noir et j'ai chevauché Coline, ma nouvelle jument dont la robe était d'un marron chocolat très joli et la crinière et la queue blanc cassé. Nous galopâmes quelques heures avant d'atteindre l'entrée de la ville bâtie toute en pierre, de sorte à ne pas brûler les remparts servant à la protéger en cas d'accidents de feu. Une fois entrés, une jeune femme en armure nous barra le passage. Elle avait de courts cheveux cuivrés et de très beaux yeux jaune canari.

    -Halte ! Qui êtes... Eh ! Marco ! Ca faisait longtemps, dis-moi !

    -Ah ! Salut, Grela ! Comment tu vas ? dit Marco, un peu nerveux à l'idée de se retrouver en face de la Mage-Dragonnière.

    -Très bien, je te remercie ! Bon, allez, passer ! Mais pas de chahut dans la ville !

    Elle s'écarta avec un grand sourire. Nous continuâmes notre route.

    -Qui est-ce ? demanda Tristan à Marco.

    -Euh, c'est Grela, une vieille amie ; une terreur !

    Nous ne répondirent rien à sa réponse même si elle me faisait froid dans le dos. Bientôt, près d'un embranchement, un jeune homme d'une vingtaine d'année s'avança vers nous. Tout comme Grela, il portait une armure et ses yeux jaunes étaient encore plus beaux. Il avait des cheveux bruns un peu en bataille. Honte de l'avouer, il était très beau (mais pas autant que Tristan !). Il nous fit signe de nous arrêter.

    -Excusez-moi ! A partir d'ici, les chevaux ne sont pas autorisés pour raisons de sécurité ! Veuillez descendre de vos montures.

    Avant que je ne puisse obéir, il s'approcha de moi et me tendit sa main en me disant :

    -Puis-je vous aider, chère Demoiselle ?

    -Merci.

    Je lui adressa un sourire et accepta sa main. Je sentais derrière moi le regard noir de Tristan bouillonnant de jalousie. Moi, ça m'amusait. Le garçon me prit mes rennes des mains et plaça mon cheval dans un enclos en laissant Marco et Tristan se débrouiller. Il me dit qu'il s'appelait Édouard.

    -Je parierai que c'est votre première fois à Dragologia. Je ne peux oublier un aussi joli visage !

    Flattée, je rougis et Tristan me prit pas le bras.

    -Excusez-nous mais nous avons des choses importantes à faire ici ! Au revoir !

    -Profitez bien !

    Quand nous fûmes assez loin, Tristan me jeta un regard sévère.

    -Je peux savoir à quoi tu joues ? me demanda-t-il.

    -A rien, Tristan, je plaisantais !

    -J'espère bien, mais...

    Avant qu'il ne puisse terminer sa phrase, je l'embrassa, lui faisant comprendre que pour moi, il n'y avait que lui.

    -OK, j'ai compris... grogna-t-il.

    Nous marchâmes une dizaine de minutes puis, arrivés à un autre embranchement, nous nous arrêtâmes.

    -On doit se séparer, dit Marco, je vais aller du côté de l'hôtel-Dieu, je préfère éviter la caserne des Mages-Dragons.

    -D'accord, dit Tristan, je vais à la caserne. Grace ?

    -Je vais voir au marché dans ce cas.

    Sur ce, on se sépara chacun de notre côté. Le marché n'était pas très loin j'arrivai vite vers une petite rue de forme ronde dont les étalages épousaient les formes. Une jeune elfe vendait des arcs et des potions. Je m'approcha d'elle.

    -Bonjour, madame ! me dit-elle avec un grand sourire, est-ce que je peux vous aider ?

    -Euh, j'aimerai savoir si vous connaissiez un... un certain Seran Merphel ?

    Elle réfléchit un instant puis me répondit.

    -Non, désolée, ça ne me dit rien.

    Je ne vis bien évidemment pas le regard presque effrayé qu'elle lança au vendeur près d'elle. Je continua ma recherche jusqu'au moment où un homme s'avança au milieu de la rue en criant :

    -Écoutez tous ! J'ai une annonce à faire, venez, venez !

    Il était grand, brun et devait avoir quarante ans. Ses yeux bleus très foncés me rappelèrent vaguement quelque chose. Il commença son annonce :

    -Écoutez ! Je viens vous apporter une merveille du Nord, qui vous facilitera la vie ! Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, les enfants et les vieillards ; je vous présente la Neige Enchantée !

    Je fus abasourdie. Qui était cet homme pour dévoiler les secrets du Néer ? La règle était stricte : la Neige Enchantée ne devait pas être présentée aux yeux du reste du monde. Furieuse, je me fraya un chemin dans la foule et m'avança vers lui pour lui dire mes quatre vérités :

    -Eh ! Qu'est-ce que vous faites ! Il est interdit de montrer de la Neige Enchantée en public ! Rangez ça tout de suite !

    -Qui es-tu pour m'interrompre ainsi ?

    -Grace Merphel.

    Il y eut des chuchotements et des murmures dans la foule. Apparemment, tout le monde savait que je portais le sort du monde sur mon dos. Mais ça m'était égal. Ce que je voulais, c'est que ce monsieur range cette poudre et s'en aille.

    -Grace ? J'ai entendu parler de toi. Pourquoi devrai-je t'obéir ? Tu n'es qu'une gamine !

    -Je connais bien les terres du Néer. Et je sais que vous n'avez pas le droit de sortir cette neige de votre poche. Alors rangez-la maintenant ou j'appelle la Garde Néerienne !

    Je dégaina mon épée et le public se dispersa.

    -D'accord, d'accord ! Pas de violence, jeune fille !

    Il rangea la Neige et moi mon épée.

    Un silence s'installa et quand il voulut parler, je l'interrompis sans passer par quatre chemins :

    -Vous êtes mon père.

    Il en resta comme deux ronds de flan. Mais son soupir m'indiqua qu'il n'allait pas le nier.

    -C'est vrai. Comment m'as tu retrouvé ?

    -Sixième sens, sans doute. Seran.

    -Oui.

    -Vous avez abandonné ma mère. Vous nous avez abandonnées toutes les deux.

    -Grace, je ne voulais pas ! Je t'assure, j'avais mes raisons !

    -Je n'ose y croire ! Dites-moi donc pourquoi !

    -Je ne peux pas te le dire ! J'ai promis à ta mère !

    -Vous ne lui avez rien promis ! J'ai trouvé son journal !

    -Quoi ?! Tu... tu as trouvé le journal de Lynl ? Montre-le moi !

    -Jamais !

    -Je suis parti parce-que quand elle m'a parlé de sa vision, je savais que je ne pourrais pas supporter de te voir grandir !

    -Vous le saviez ?! Vous saviez tout, comme Lynl ? J'en étais sûre ! Vous m'avez menti ! Vingt-et-un ans ! Mais aujourd'hui, c'est fini ! Plus de mensonges, plus de pièges ! C'est terminé...

    -Grace, s'il te plaît, écoute-moi...

    -Vous n'êtes pas mon père...

    -Grace !!

    Trop tard, j'étais déjà partie en courant les larmes aux yeux. Je regrette de ne pas l'avoir égorgé ! Je me remit à la marche et Tristan et Marco me rejoignirent.

    -Rien trouvé ! Et toi Grace ? Tu l'as vu ?

    -Je suis désolé, les garçons mais on va devoir se trouver un autre Magicien ! Cet homme n'est pas mon père !

    -Pourquoi ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Raconte-nous !

    -Il n'y a rien à raconter ! J'aurai dû écouter ma mère, mon père est mort et n'existe plus !

    Je remonta sur Coline, Tristan sur Félix et Marco sur Lysana. On sortit de la ville, rejoignant Walandriah. Le voyage fut étonnamment plus long et j'avais un étrange pressentiment qui rendait le trajet encore plus désagréable.
    Une fois arrivés, la panique me prit. De la fumée dépassait des remparts ! Des cris fusaient de tous les côtés. Je descendis de Coline et courra vers l'entrée de la capitale. Le feu avait pris sur quelques maisons. Les femmes et les enfants essayaient de s'enfuir pour sauver leurs vies et les soldats s'empressaient de rejoindre le château. Walandriah était attaqué ! Mais par qui ? Bordeciel ? Non, nous avons signé un traité de paix et jamais nos pays ne pourraient s'entre-tuer. L'Angleterre ? Impossible. Alors l'attaquant était un Mélorhien rebelle. Et si... oh non... Et si Bériah avait attaqué la capitale pour m'attirer dans un piège ? Ou assouvir son règne ? Mais je n'avais pas le temps de répondre à mes questions et m'élança vers l'Auberge des Cents Chants, sans attendre Marco et Tristan, priant pour qu'il ne soit rien arrivé à Valérica. Par chance, l'auberge n'avait presque rien et la chanteuse s'était caché avec le patron derrière le comptoir.

    -Valérica ! Qu'est-ce qui se passe ?

    -Oh, Grace ! Ecoute-moi, tu dois partir le plus rapidement possible ! Voici la moitié de mes pourboires !

    Elle me tendit une bourse d'or en cuir.

    -Mais Valérica, explique-moi ! Qui a osé s'en prendre à Walandriah ?

    -C'est Bériah !! Il est là ! Et il a assassiné le Roi et sa fille ! Nous sommes perdus ! Mélorah est perdu ! Maintenant, va-t-en ! C'est toi qu'il veut !

    -Non ! Je ne partirai pas sans vous ! Venez avec moi !

    -Nous ne pouvons pas ! Ce n'est pas notre destin de sauver Mélorah ! Cours, Grace !!

    Elle tenait tellement à me protéger que j'en laissa tomber quelques larmes. Elle était si sincère... Elle était comme une sœur pour moi. Je ne pouvais me résoudre à l'abandonner. Pourtant, c'est ce que je fis. Mais je ne quitta pas la ville. Je courra le plus vite possible vers le château et trouva Bériah, sur le trône, triomphant. Les corps du Roi et d'Elena gisaient sur le sol. C'était horrible. A côté du sorcier se tenaient une jeune femme aux cheveux rouges sang et aux yeux bleus très pâle ; ainsi qu'un homme du même âge aux yeux noirs comme les ténèbres et aux cheveux châtains. Bériah m'adressa un sourire plus que cruel.

    -Alors, Grace ? Tu as apprécié ma petite mise en scène ? Rien que pour toi, j'ai épargné ton amie et l'auberge ! Si ce n'est pas une preuve de ma bonté !

    -Qu'est-ce que vous voulez ?

    -Le journal de Lynl.

    C'est bien ce que je pensais. Et si je refuse ?

    -Tu as trois choix : soit tu te rends et je t'utilise ; soit tu me le donne ; soit tu finis ta misérable existence avec pour seul but dans la vie de fuir pour ne pas rencontrer la mort. C'est comme ça que ça se passe ! Tu as voulu jouer donc c'est ton ennemi qui choisit les règles du jeu ! Qu'est-ce que tu choisis, Grace ?

    Je ne répondis pas. Que voulait-il que je réponde ? Il était hors de question que je me rende, encore moins que je donne le journal. Alors il ne me restait plus qu'une solution. M'enfuir. Être traquée toute ma vie en redoutant la moindre chose et ne jamais dormir deux fois au même endroit. Je ne pouvais faire que ça. Je retourna donc sur mes pas en courant jusqu'au malaise à l'entrée. Tristan et Marco n'avaient pas bougé. Ils aidaient les gens à sortir de la capitale.

    -Grace !! cria Tristan, qu'est-ce que tu faisais ! On était morts d'inquiétude !! Viens, il faut qu'on s'en aille, maintenant !

    -On doit se dépêcher, il ne va pas tarder à lancer un dôme de protection !

    -OK ! On y va !

    On commença à sortir pour rejoindre nos chevaux mais Tristan s'arrêta.

    -Marco ! Qu'est-ce que tu fous ?!

    -Ne m'attendez pas ! Je vous rejoins !

    -Les gardes s'occuperont des rescapés ! Viens !!

    Malgré nos protestations, il resta à l'intérieur pour aider la population. Mais le dôme commençait à se former.

    -Marco !! COURS !!!

    Il remarqua la barrière magique et courra dans notre direction mais il n'était pas assez rapide. Le dôme se termina juste avant qu'il ne puisse sortir.

    -GRACE !! TRISTAN !!

    -MARCO, NON !!

    -Grace, viens on peut plus rien faire pour lui ! Je t'en prie !

    -Mais... Mais...

    Il me prit le bras et m'entraîna là où on avait laissé les chevaux. Marco nous regardaient toujours à travers le dôme. On commença à galoper sans savoir où on allait aller. Quand on fût assez éloignés de la ville pour ne plus la voir, j'expliquai à Tristan ce que j'avais vu au château.

    -On n'a pas le choix. On doit partir. Mais je veux que tu saches que notre vie ne va plus être la même. Et cela tant que Bériah sera "Roi".

    -Je sais.

    -On devra toujours être méfiant. On ne pourra faire confiance à quasiment personne. On ne dormira jamais deux fois au même endroit. Un moment, il va falloir partir de Mélorah. On n'aura pas le choix. Enfin, pour le moment, on va rester dans le pays et voir ce qu'on fait. Tu me suis ?

    Je fis oui de la tête. Le soleil était en train de se coucher. On partit au galop vers notre nouvelle vie qui, après tout, ne pouvait pas être si désastreuse...

    Chapitre 8 : 5 ans plus tard

    Cinq ans sont passés depuis le début du règne de Bériah. La Terre de Mélorah était devenue plus maussade et plus sombre mais après ça, rien n'avait spécialement changé. Si on oublie que pendant cinq années, Tristan et moi avons vécus comme des criminels. Le jour où l'histoire reprend, nous nous étions arrêtés dans la forêt. J'observais le bord d'un lac où nageaient des cygnes. Le soleil était bas, l'hiver avait commencé. Tristan me rejoint et s'assit à côté de moi. Ses yeux étaient toujours les même et j'avais coupé ses cheveux pour qu'ils ne poussent pas trop longs. Les miens avaient poussés à mes épaules mais je m'en fichais.

    -Grace, j'ai beaucoup réfléchi. On devrait arrêter tout ça.

    Je tourna la tête pour le regarder dans les yeux.

    -Je sais. Ca fait des mois que tu me répètes ça. Mais tu connais ma réponse. Je ne cesserai jamais de fuir. Ni moi, ni le journal ne finira entre les mains de Bériah.

    -Mais on ne va pas passer notre vie à avoir peur !

    -Pourquoi pas ?

    -Parce que moi, j'en ai assez !

    -Mais ce n'est pas toi qui est traqué, c'est moi ! Si tu ne veux t'en aller, ta vie sera la même qu'avant et tu seras tranquille !

    -Non, car tu ne seras pas à mes côtés. Je refuse de vivre sans toi. Je ne veux pas que tu te rendes. Mais... le journal.

    -Et quand il en aura possession, ce sera la fin. Son armée va être sur pied et là, on ne pourra plus rien faire pour de bon.

    -D'accord, j'ai compris...

    -Et n'essaie pas de t'enfuir avec le journal.

    -Jamais.

    Il m'embrassa et je vint compléter ce baiser en inversant les rôles.

    Le lendemain, on repartit après avoir chassé le loup. Nous avons passé la journée à galoper mais avons été interrompus par quelques bêtes. On assista au décès d'un dragon que venait d'achever une Magicienne-Dragon qui devait être plus jeune que nous. Puis on contourna un cimetière sans y entrer car Tristan était allergique à la poussière que laissaient traîner les Fées-Fantômes derrière elles. A la fin de la journée, on s'arrêta, épuisés, dans une auberge quelconque tenue par une vieille femme du nom d'Ara. On s'installa tout de suite dans nos chambres. Nous avons à peine mangé et sommes partis dormir, épuisés par cette journée remplie.

    Pendant la nuit, presque au matin, je ne sentis pas Tristan se lever, fouiller mon sac, prendre le journal de Lynl et partir d'une démarche somnambulique.

    Quand je me réveilla, peu après le lever du soleil, j'étais seule. Je me leva et m'habilla puis sortis de ma chambre. La jeune et jolie serveuse blonde balayait dans l'entrée et quand elle me vit, elle m'interpella :

    -Madame ! Ce matin, votre compagnon est parti sans vous, je crois bien ! Il a pris ses affaires et son cheval !

    Prise de panique, j’accourus dans ma chambre et vérifia mon sac. Le journal de ma mère avait disparu ! Et Tristan aussi... Non, il n'aurait jamais osé s'enfuir avec. Il me l'avait juré quelques heures plus tôt. Quoi que... il est vrai que tout recommencer à zéro était sa seule pensée ces derniers temps. Mais il n'a pas pu me trahir comme ça. Il s'est forcément passé quelque chose qui l'a obligé à l'emporter. J'ai donc pris mon havresac et j'ai sauté sur Coline. J'étais certaine que Tristan s'était rendu à Walandriah car Bériah régnait désormais là-bas depuis maintenant cinq ans. J'ai donc suivi la route jusqu'à la capitale et arriva rapidement. J'étais juste derrière Tristan car j'étais partie près de 10 minutes après lui.

    Je ne savais pas qui j'étais. Ni où j'étais. Comme si ma tête avait écarté de mon cerveau tous mes souvenirs. J'ai essayé de me souvenir où j'allais et pourquoi. Que s'était-il passé ? J'avais conscience d'être sur un cheval et de partir pour Walandriah pour remettre le journal de Lynl Merphel au Roi Bériah. Malgré mes efforts surhumains, je ne souvint que j'étais Tristan Irng, Devin et Prêtre, parti depuis cinq ans avec Grace Merphel, la femme que j'aimais pour empêcher la fin du monde. J'arrive finalement à la capitale, puis devant l'immense château et je descendis de ma monture, ne prenant que le journal. J'entrai et m'avança vers le trône où était assis le souverain, entouré de Dérah, une jeune magicienne qui contrôlait mon corps et mon esprit, ainsi que Skélos, un guerrier humain. Je monta les quelques marches qui séparait le siège du reste de la salle.

    Je parvins au château et piqua un sprint à l'intérieur.

    Je tendis le journal au Roi. Il le prit et souris. Un sourire triomphant, cruel auquel je ne pouvais pas répondre.

    Tristan était face au sorcier dont la victoire se dessinait sur son visage. Le journal était entre ses mains. Ses deux acolytes paraissaient aussi réjouis que lui.

    J'étais de glace, je ne pouvais rien faire ! C'était comme si je n'existais plus.

    Il n'était plus lui-même ! Tristan était comme possédé, contrôlé.

    Je ne sentis pas le soudain déplacement de Dérah, armée d'une dague, prête à me poignarder dans le dos.

    -Tu as fait du beau travail, Tristan, dit le Roi. Maintenant, adieu.

    Voyant le corps de la Magicienne apparaître derrière Tristan, je sortis mon poignard et d'un coup sec, lui lança dessus. Il atteignit son bras droit et elle poussa un hurlement en s'écroulant. Tristan, qui s'était réveillé, s'effondra sur le sol (j'avais appris que sortir d'un contrôle mental est très épuisant.) et je m'approcha de lui en courant.

    -Tiens, Grace ! dit le Sorcier. Tu m'avais manqué ! Ca passe vite, cinq ans, non ?

    Je ne répondis pas. J'étais à genoux devant Tristan qui m'agrippa le bras pour se relever mais il redressa le visage vers moi, je vis avec épouvante ses yeux rouges sang qui me regardaient avec le verbe "tuer" dans la tête. Avant que je ne puisse réagir, il m'envoya valdinguer contre un mur avec une telle force qu'il se fissura. Je me releva difficilement mais il me sauta dessus et me plaqua contre le mur. Il me regardait une telle haine que je me demandais comment il pouvait y survivre. Mentalement, je le suppliais de se calmer, de m'écouter, de se réveiller. Je l'ai bien regardé dans les yeux. Mais pas ses yeux sanglants réclamants la mort et la destruction. Non, ceux que je connaissais, ses yeux oranges, résumés par deux couchers de soleil. Et là, il a compris. Le rouge disparut, faisant place au crépuscule. Son visage s'adoucit et ses poings se desserrèrent des miens.

    -Grace...

    -C'est toi ? Oh Tristan, tu m'as tant manqué !

    Je le prit dans mes bras, folle de joie de le retrouver enfin.

    -Bien joué, Grace, très joli !

    Je lâcha Tristan et regarda Bériah ainsi que sa sbire, qui me regardait avec un regard meurtrier qui vint ternir son regard bleu nuit.

    -Je suis surpris de te retrouver après... quoi, cinq ans ?

    -Rendez-moi ce journal ! Vous n'avez pas le droit de le prendre !

    -Je suis Roi, Grace ! J'ai tous les droits ! De plus, vous me l'avez donné... volontairement, non ?

    Sur ce, il éclata de rire. Je n'aimais pas du tout son ironie. Mais Tristan n'y était pour rien. C'était cette sale Sorcière qui l'avait ensorcelé. Les Sorcières et Sorciers n'existent plus aujourd'hui (tous comme les Exorcistes qui étaient les ancêtres des Prêtres et Devins) mais les Magiciens qui utilisent la magie pour le mal sont appelés par ce nom qui est, entre autre, devenu une insulte (comme Bériah). Elle me sauta dessus avec une vitesse époustouflante et je sus que je ne pouvais rien faire, elle était trop rapide. Mais il ne se passa rien. Je rouvris les yeux et vis qu'un bouclier, tel un dôme, nous protégeaient, moi et Tristan. La Sorcière s'écarta de la barrière juste à temps.

    -C'est donc cela le pouvoir que tu renfermes. Dérah, s'il te plaît. Essaie d'utiliser tes dons sur cette jeune fille.

    La Magicienne obéit et se concentra sur mon esprit. Après quelques secondes de silence, rien ne se passa. Je me sentais parfaitement moi-même.

    -Incroyable. Ton sang de Mage est absolument fantastique. Pas étonnant que j'ai besoin de toi. Je me demande même si ce poison sera suffisant pour compléter mon armée !

    Le journal, c'est vrai ! J'apparus devant le Roi pour le lui prendre des mains mais son champ de protection qu'il activa était bien plus puissant que le mien. Je me retrouva par terre, les doigts brûlés par la chaleur de son bouclier. Je me redressa, fixant les yeux du Sorcier dont la couleur était indéfinissable. Son regard et son sourire n'avaient pas changés.

    -Tu croyais vraiment pouvoir me le prendre des mains de cette façon ? Je suis omnipotent, Grace ! Je suis un dieu ! Un DIEU !!

    Il était complètement fou. Mais n'était-ce pas le comble pour un Sorcier ?

    -Je te conseille de fuir, Grace ! Fuir encore plus loin que la Terre de Mélorah ! Maintenant que j'ai le remède au problème, tout est réglé ! Mon armée va renaître de ses cendres et je redeviendrai le plus puissant Sorcier du Monde !!

    Le rire qu'il lâcha raisonna dans tout le bâtiment. Sa victoire était insupportable. Je serrai la main de Tristan, aussi effrayé que moi. Plus que de la peur, il avait honte. Honte de s'être laissé prendre aussi facilement et aussi lamentablement. En fait, nous avons eu si peur que nous nous sommes enfuis, remontés sur nos cheveux puis sommes partis. Mais le dôme nous empêchait de partir. Ayant pris conscience de mes multiples pouvoirs, j'étais sûre de pouvoir briser le dôme, au moins l'espace d'un instant. Je mis ma main dessus et me concentra au maximum. Je réussis après dix secondes et passa de l'autre côté. Tristan fit de même et nous partirent loin.

    Chapitre 9 : La bataille finale.

    On passa la journée entière à galoper. Le silence était notre seul compagnon. On s'arrêta finalement dans une grande forêt et s'installa notre campement. Tristan s'occupa des tentes tandis que je vérifiais les environs. Je ne tenais pas à avoir de mauvaises visites. Quand tout fut prêt, je rentra dans la tente et m'assit sur mes peaux de bêtes. Tristan se mit face à moi. Il me fixait.

    -Tu n'as pas dit grand-chose depuis ce matin, me dit-il.

    -Toi non plus, il me semble.

    -Ne t'en fais pas, on va lui reprendre ce journal !

    -Mais tu ne comprends décidément rien ! Tu ne veux pas admettre que c'est tout simplement impossible ! La prochaine fois qu'on croise sa route ou celle de ses sbires, on est morts ! Morts !

    Il baissa les yeux.

    -C'était horrible, dit-il.

    -Quoi ?

    -Quand j'étais... enfin...

    -Possédé.

    -Ouais... Si tu veux. J'ai failli te tuer.

    -Tristan, ça n'est pas de ta faute ! C'est Dérah, elle... s'en est pris à toi...

    -Non, ce n'était pas Dérah. C'était comme un démon.

    -Mais tu sais que seuls les Exorcistes peuvent se faire posséder ! Tu serai déjà mort, ce n'était pas un démon !

    -Grace, peut-être que certaines races n'ont pas totalement disparues !

    J'écarquille les yeux, comme si il était devenu fou.

    -Tu... tu affirmes que, que tu es un Exorciste ?

    -C'est bien possible.

    Bien sûr que non, ce n'était pas "bien possible" ! Il a été prouvé que les radiations émises par les Exorcistes se sont totalement volatilisées ! Et si Tristan en était un, je l'aurai vu, non ? Enfin, je ne connaissais pas vraiment les caractéristiques des Exorcistes...

    -Qu'est-ce qu'ils ont de particulier ?

    -Premièrement, ils ont tous une marque de naissance rouge n'importe où sur le corps, ils peuvent se faire posséder par les démons sans risques qu'ils n'y succombe et peuvent parfois y résister et retourner le démon contre eux et ils s'arment de crucifix, de trucs dans le genre.

    -Pourquoi ont-ils disparus ?

    -J'en sais rien, dit-il en haussant les épaules.

    -Tu devrais aller te coucher, Tristan. La possession, ça fatigue.

    -Ouais, je vais y aller. Ne tarde pas, toi non plus.

    -Oui, oui, je vais rester encore un peu.

    Je resta en boule dans ma tente à regarder le feu qui crépitait dehors alors que Tristan s'éloigna. Quand je fut seule, j'entendis un bruit. Enfin, je sentais une présence, plutôt. Les bruits pouvaient être les arbres, les animaux, le vent... Certaine que nous n'étions pas seuls, je me leva et quitta le camp pour m'enfoncer dans la forêt. Je m'arrêta quand je sentis l'entité toute proche. Je tourna en rond sur place jusqu'à ce que je vis Dérah, devant moi, un sourire aux lèvres. Je ne me suis pas enfuie. Elle était comme amusée, sûrement par la tête effrayée que je faisais et dont je ne pris pas conscience.

    -C'est tellement mignon de te voir avec cet air apeuré, dit-elle d'un air moqueur, toi qui est si courageuse, si brave ! Serait-ce juste une façade ?

    Je reculais mais elle avançait.

    -Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu as peur ? Toi qui m'a mise à terre et a sauvé Tristan ? Que c'est banal... Tu me déçois, presque !

    -N'essayez plus jamais de vous approcher de Tristan !

    -On verra ça... Jusque là, à bientôt !

    Puis elle disparut comme un fantôme. Je retourna sur mes pas. Je rentra dans ma tente après avoir éteint le feu. Je n'ai pas dormi, la discussion avec Dérah m'avait bien secouée.

    Au petit matin, Tristan m'a rejoint car en pleine nuit, je n'arrivais tellement pas à dormir que j'ai préféré rester éveillée dehors.

    -Tu n'as pas dormi ? demanda Tristan.

    -Non.

    -Qu'est-ce qui s'est passé ? Il y a eu quelque chose, hier soir ?

    -Non.

    -Tu mens très mal, Grace, sache-le.

    -J'ai parlé avec Dérah. Je n'ai pas pu m'endormir, d'accord ?

    -Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

    -Rien de spécial. Elle voulait simplement me narguer.

    -Il va falloir qu'on fasse attention. On n'est plus en sécurité, maintenant. On est coursés, paumés.

    -Je sais. Où est-ce qu'on peut aller, désormais ?

    -Nulle part. Où qu'on aille, nous aurons des problèmes.

    -En gros, ce que tu essaies de me dire, c'est que notre vie a totalement foiré le jour où Bérah est devenu Roi ? lui dis-je, au bord de l'énervement.

    -Presque. Elle a foiré le jour où nous sommes partis dans la seconde dimension...

    Sapristi ! La seconde dimension ! Après cinq ans, j'avais entièrement oublié que je n'étais plus dans LA vraie Mélorah. Je faillis de sauter sur Tristan.

    -Mais oui ! Il faut qu'on retourne au sommet du Mont Luth et retourner de là d'où on vient ! Et bye, les ennuis !

    -Euh, je ne sais pas trop... Si ça se trouve, la situation là-bas est la même qu'ici...

    -On doit au moins essayer ! Viens m'aider à ranger les affaires et les tentes !

    On s'est alors levés et on a tout rangé. Une fois le camp nettoyé et nos sacs prêts, nous sommes partis en direction de la montagne. Nous avons marché deux jours, sans problèmes. En voyant le point culminant se dessiner devant nous, je savais que nos seuls espoirs étaient là, juste à quelques kilomètres. Nous sommes arrivés tout en haut à la tombée de la nuit. Rien. Nous avons attendu une heure avant de nous dire que non, il n'y avait pas d'issue possible. Cette vie était une cage indestructible qui nous retenaient prisonniers pour toujours. Mais soudain, alors que nous pensions avoir perdu la partie, une boule de lumière apparut et se transforma en la Grande Prêtresse Millénaire.

    -Grace ? Après cinq ans, voilà que tu reviens me quérir de l'aide ? C'est étonnant !

    -Écoutez, nous avons besoin de vous ! Nous devons retourner de l'autre côté, là où nous vivons !

    -C'est ici que vous vivez, maintenant, Grace.

    -Non ! Nous sommes dans la seconde dimension, celle où on m'avait dit que je pourrais vaincre Bériah ! Mais c'est impossible ! On doit repartir !

    -Il y a toujours une sortie à l'entrée, Grace. Il y a un moyen de détruire le Sorcier.

    -Lequel ?

    -Tu le découvrira bien assez tôt. Mais souviens-toi d'une chose : "Le moment venu, la personne qui tuera le fléau devra mourir"...

    Puis elle disparut comme elle était apparut.

    -Non ! Non, attendez ! Nous avons besoin de vous ! Je vous en prie, revenez !!

    J'éclate en sanglots, incapable de soutenir le choc de ses propos. Non seulement je ne pouvais pas retourner chez moi, mais il fallait que je meure obligatoirement pour sauver Mélorah ? Ca n'avait aucun sens ! Autant se pendre maintenant et ici ! Mais je n'avais pas le choix. C'était ma vie contre des millions. La mienne contre celle de Tristan. Celle de Valérica. J'essuie mes larmes et me tourna vers Tristan. En croisant son regard perdu au loin, j'avais l'impression qu'il se disait les même choses que moi. Mais soudain... Mince ! Il avait lu mon esprit et connaissais mon plan désormais ! Mon expression ne changea pas pour autant :

    -Laisse mes pensées tranquilles. Je te l'ai déjà demandé, non ?

    -Je ne te laisserai pas aller tuer Bériah et te sacrifier. Pas pour moi.

    -Il n'y a pas que pour toi que je le fais. C'est pour toute la Terre. J'aime ce pays. Et je t'aime. Je ne vous laisserai pas entre les mains de ce démon qui nous manipule tous depuis cinq ans.

    -Regarde !

    Il pointa du doigt quelque chose derrière moi et je me retourna. J'ai cru, l'espace d'un instant, qu'il voulait faire diversion pour m'assommer tranquillement. Mais non. Une feuille volante pliée en deux s'approchait de nous. Je la suivit du regard et la regarda se déposer entre mes mains. Je l'ouvrit et lut à voix haute :

    -"C'EST LA GUERRE".

    Il y eut un silence mortel.

    -On doit partir, dit Tristan.

    Je voyais la panique dans ses yeux.

    -Où ça ?

    -En Angleterre, en Bordeciel, où tu veux mais partons.

    -Tristan, s'il te plaît, calme-toi.

    -Mais comment veux-tu que je me calme !!? On va mourir, Grace ! MOURIR !!

    Il était en pleine crise d'angoisse. J'essayais de le rassurer comme je pouvais mais n'y faisait. On est donc redescendu et nous sommes partis. Pas en Angleterre. Pas en Bordeciel. Pas dans le Néer. Non. Nous sommes partis pour Ira, le plus grand champ de bataille du monde. Pour la résumer, il s'agissait d'une terre désolée entièrement dépourvue de quelconque source de vie. Les plus grandes guerres s'y étaient déroulées : la Guerre des Trois États qui avait opposés Mélorah, Fhrageger (la Terre des Nains, à l'Ouest) et Ildranir (la Terre des Trolls, au Nord, près de l'Angleterre) ; la Guerre des Anges qui est une légende et aurait opposé les forces du Paradis contre les forces de l'Enfer, etc, etc...

    Ira n'était pas très loin, nous n'avons voyagé qu'une demi-journée à peine. Arrivés à la frontière qui sépare le champ de bataille du reste de la Terre de Mélorah, nous avons sentis les présences de Dérah, Bériah et Skélos qui s'avançaient. Tristan m'a pris la main et nous avons continué. Nous avons marché jusqu'à nous retrouver à quelques mètres de nos trois ennemis.

    -L'heure de la bataille finale a enfin sonnée, dit le Sorcier. Dérah ?

    La jeune Sorcière tourna son regard bleu nuit vers Tristan et il se dirigea dans le camp d'en face.

    -Tristan, mais.... Qu'est-ce que tu fais ?

    Je lui tira le bras pour le faire reculer.

    -Arrête ! Tu ne vois pas que c'est un piège ?! Arrête d'avancer ! On doit se battre ensemble !!

    Incapable de le réanimer, je le laissa. Le Sorcier m'adressa un vilain sourire

    -On dirait que nous sommes à un contre quatre, dit-il. Comme c'est triste ! Tu es mal partie, Grace !

    Je ne répondis pas. Je ne devais plus me livrer à son manège qui tournait, tournait et tournait encore depuis des années. Mentalement, je dis à Tristan : "Nous gagnerons cette bataille. Et aucun de nous deux ne mourra."
    Je reposa mes yeux sur mes "vrais" ennemis, prête à combattre.

    -Oh non, dit Skélos, ce ne seront pas nous les adversaires. C'est lui.

    Il pointa Tristan du doigt. Non, je refusais de croire qu'ils allaient nous opposer pour leur simple plaisir ! Pourtant, avant que je n'ai le temps de réagir, il se jeta sur moi avec une force incroyable. Un mur m'arrêta et je me rendis compte que le Sorcier avait lancé son fameux dôme de protection duquel personne ne peut en sortir. Tristan m'étranglait et je le suppliais dans ma tête d'arrêter de se laisser faire et d'être fort. Puis soudain, j'entendis une voix. Personne ne parlait mais quelqu'un s'adressait à moi. C'était Tristan ! Il n'était pas prisonnier d'un sort ! Ses doigts se desserrèrent lentement.

    "Grace, dit-il, je ne suis pas possédé. C'est une comédie. Tu m'as protégé."

    Je lui répondis mentalement :

    "Les dieux soient loués dans ce cas ! Il faut qu'on trouve un moyen de partir, il y a un dôme !"

    "Je sais, ne panique pas. J'ai un plan..."

    J'étais soulagée que tout aille bien. Mais jusqu'à ce que je sente une lame transpercer ma taille. Je m'étais complètement faite rouler !

    -Maître, dit Dérah, ne doit-on pas la laisser en vie ?

    -J'ai le journal, désormais ! Peu m'importe la vie de la fille !

    -Je crois que vous vous tromper, dit Tristan.

    -Pardon ? Dérah, qu'est-ce que ça veut dire ?

    -Je ... Eh bien..., dit la Sorcière, désemparée et incapable de comprendre pourquoi sa possession ne fonctionnait pas.

    -Ce journal est fait de l'énergie de Grace et de Lynl. Lynl étant morte, les poisons et potions ont perdus de leur efficacité !

    -Quoi ?!

    -Si Grace meurt, il se désintègre entièrement.

    Il sortit alors le journal qui éclata en étincelles rouges dans sa main. Le Sorcier et ses deux acolytes devinrent fous de rage.

    -Tristan..., dis-je.

    -Toi seule peut t'en sortir, Grace. Je vais m'occuper de lui.

    -Non, tu ne peux pas ! Attends, qu'est-ce que tu fais ?! Non ARRÊTE !!!

    Avant que je ne puisse réagir, sa dague vint se planter dans son ventre sous les protestations du Roi. Il s'effondra et me lâcha. Je tomba à genoux, accablée par la douleur. Il ne voulait pas me tuer, simplement me blesser pour provoquer Bériah ! Ce dernier s'élança vers nous, mais je ne pouvais pas bouger. Je n'en pouvais plus ! Je ferma les yeux, prête à affronter la Mort. Mais il ne se passa rien. Je regarda la situation... et ne vit que des étincelles rouges éclater comme un feu d'artifice. Tristan avait saisi le Sorcier par la cheville et l'avait désintégré. Il avait tué Bériah ! Cinq ans à fuir et à chercher un moyen de l'éliminer et Tristan avait réussi ma quête en un seul instant. Dérah et Skélos avaient disparus mais je savais qu'ils étaient morts, ils étaient liés à Bériah. La main de Tristan retomba à terre et j'essaye de le réveiller. Ses yeux s'ouvrirent et me regardèrent.

    -Tristan, qu'est-ce que tu as fait ? Comment l'as tu...

    -C'est la formule d'un Parchemin Divin...

    -Mais... où l'as tu eu ?!

    -La Prêtresse me l'a donné...

    -Pourquoi tu ne me l'a pas dit ?

    -Je ne sais pas... Aïe !

    Son sang coulait sans arrêt, je ne pouvais rien faire. Étant simplement humaine, je n'avais pas les capacités médicales d'une Magicienne. Mais si ! Mon sang de Mage que je tenais de mon père ! J'essaie de me concentrer pour le soigner mais j'avais peur de me tromper. Une lumière illumina sa blessure. Le sang disparut et cessa de couler. Mais il n'était pas plus en forme. Ses paupières s'alourdissaient.

    -Grace..., dit-il.

    -Tristan, tu m'entends ?

    -Maintenant, la Terre de Mélorah est sauvée...

    -Je sais ! On va pouvoir rentrer !

    -Non... Toi seule peut t'en sortir...

    -Quoi ?! Mais qu'est-ce que tu racontes !

    -Ma lame était... munie d'un poison impossible à soigner. Je dois mourir !

    -Non ! Non, tu ne peux pas mourir !! J'ai besoin de toi !

    -Navré, Grace... S'il te plaît... Ne pense plus à ce qui s'est passé... Oublie-moi, ce sera mieux pour tout le monde...

    -Non...

    -Va en Angleterre et parle à mes parents...

    -Non...!

    -Mais n'oublie pas que... je t'aime...

    -NOOON !!!

    Mes larmes étaient si nombreuses qu'elles auraient pu inonder le champ de bataille. Il était mort... Tristan était mort ! Je n'avais pas pu le protéger ! Qu'est-ce que j'allais faire, maintenant ? Il était hors de question d'apprendre à vivre sans lui ! Pourtant, c'est ce que je devais faire. Mais la haine qui m'habitait lorsque ma mère mourut ne se déchaîna pas. Contre qui allais-je m'énerver ? Tout le monde avait été tué. Il n'y avait plus personne... Alors j'ai pris le corps de Tristan et je suis partie pour Walandriah.

    Chapitre 10 : Tristan...

    Même après avoir fait Ira - Walandriah avec le corps de 75 kilos de Tristan dans les bras, la fatigue ne l'avait pas remporté. Le dôme de la ville avait disparu, suite à la mort du Sorcier. Sur le chemin de l'Auberge des Cents Chants, les gens nous regardaient avec des yeux impressionnés et exagérément écarquillés. Valérica se tenait devant l'auberge, nostalgique. Elle se retourna et nous vit. Apparemment, elle était au courant et plus rien ne pouvait la surprendre. Des soldats s'approchèrent de nous et prirent le corps. J'accepte leur aide et ils rebroussèrent chemin, Tristan désormais entre de meilleures mains. Valérica tendit les bras et je m'y réfugia. Mes larmes ne coulèrent pas, j'en n'en avais plus en réserve. Elle me fit rentrer et nous nous asseyons face à face. Nous avons discuté une bonne heure. Elle me racontait ce qui s'était passé durant mes cinq années d'absence.

    -Il dévalisait les réserves de bière et d'alcool. J'étais complètement ruinée. Chanter ne me servait pas plus. Les impôts ont augmenté, il y a eu des innocents exécutés.

    -On aurait du se révolter ! dit Brutus, le patron de l'auberge.

    -Ne dites pas de bêtises ! Dois-je vous rappeler que nous parlions de Bériah, le plus grand Sorcier de tous les temps ?

    -Nous aurions du fuir en Bordeciel ou leur demander de l'aide !

    -Pour signer notre arrêt de mort et déclencher une guerre ? Autant se plomber maintenant, comme je disais !

    Brutus soupira et retourna vaquer à ses occupations.

    -Il est encore un peu secoué, reprit Valérica.

    -Par quoi ?

    -Sa fille, Catherine, a été enlevée par les soldats le mois dernier. On ne sait même pas si elle est encore vivante.

    -Les gardes n'ont pas fouillé le cachot ?

    -Il est fermé à clé ! Enfin, retenu par un puissant sortilège, plutôt...

    -Je vais y aller.

    -Comment vas-tu t'y prendre ?

    -Je ne sais pas trop mais je pense que je peux y arriver.

    Je me leva et me dirigea vers la tour des cachots, accompagnée de quelques soldats. J'arrive devant la porte et examina celle-ci. Apparemment, le sortilège avait perdu son efficacité mais n'était pas encore entièrement rompu. Je me concentra sur la serrure et elle s'ouvrit instantanément. J’accourus dans le donjon et fit face aux cellules. Les gardes les ouvrirent une par une. Il y avait une petite centaine de prisonniers. Nous firent sortir tout le monde. Une fois dehors, j'allais rejoindre Valérica mais une voix m'en empêcha. Je me retourna et vit une jeune adolescente en haillons.

    -S'il vous plaît... Vous pouvez m'emmener voir mon père ?

    -Catherine ?

    -Oui...

    -Viens avec moi.

    Je la prit par les épaules et l'emmena à l'auberge. Brutus attendait devant l'entrée. Il remarqua sa fille et son visage s'illumina d'un immense sourire et il pleura, fou de joie de la revoir. Elle se jeta dans ses bras et je les contempla quelques minutes. J'étais rassurée mais moi aussi, j'aurai eu besoin de chaleur amicale. Maman me manquait, Tristan me manquait, même Serena et mon père me manquait. Prise par l'émotion, je laissa, moi aussi, tomber quelques larmes. Ils s'écartèrent et j'essuie mon visage avant de les suivre à l'intérieur. Catherine s'assit puis Valérica posa une peau de loup sur elle et un verre de lait chaud sur la table. Je m'assis près d'elle. C'était une très jolie fille avec des cheveux châtains aux mèches blondes lui arrivant aux épaules, de magnifiques yeux caramels et une peau abricotée toute lisse. Elle avait des lèvres roses thé.

    -Quel âge as-tu, Catherine ? lui demandais-je.

    -17 ans. Dix-huit à la fin de l'hiver. Vous êtes Grace Merphel, pas vrai ?

    -C'est exact. Tu connais bien Valérica ?

    -Elle m'a aidée à surmonter le décès brutal de ma mère. C'est là que mon père l'a embauchée.

    Elle porta son verre à ses lèvres pour en boire le contenu.

    -Depuis combien de temps ta maman a disparu ?

    -Huit ans, je crois. J'avais dix ans.

    -Je ne t'ai pas vu, il y a cinq ans, le jour où je suis arrivée à Walandriah. Où étais-tu ?

    -J'étais en voyage chez ma tante. Elle habite au bord de la mer qui sépare Mélorah et Bordeciel.

    -Je vois. Tu aimais ta mère ?

    -Plus que tout.

    -Je sais que c'est dur. J'ai perdu ma maman moi aussi. Je ne m'en suis pas encore remise.

    Suite à ma confession, elle eut les larmes aux yeux. Je les avais aussi mais je me ressaisit. Je devais cesser de pleurer sur le passé. Pour Tristan, c'est encore une autre histoire... Tristan... Rien que son nom dans ma tête me fait prendre conscience de toutes mes erreurs ! Valérica s'approcha de nous.

    -On n'a pas touché à ta chambre Catherine, dit-elle à l'adolescente, tu peux donc la réoccuper dès maintenant.

    -D'accord. Merci.

    Elles se sourirent et la belle chanteuse tourna ses yeux chocolats vers moi.

    -Grace ? Tu veux qu'on parle ?

    -Non, je te remercie, ça va aller.

    -Tu es sûre ?

    -Oui. Merci beaucoup.

    -Compris, mais ne tente pas n'importe quoi !

    -Ne t'en fais pas !

    Et elle s'éloigna. Un soldat entra alors et embrassa la salle du regard. Il déposa alors ses yeux sur moi et s'avança.

    -Mademoiselle Grace, que devons-nous faire pour Monsieur Tristan Irng ?

    -Pourquoi me demander ça à moi ? C'est à ses parents de décider !

    -Il est malheureusement impossible de contacter sa famille.

    -Très bien. Alors faites le nécessaire pour le garder jusqu'à la cérémonie. Je vais m'occuper de ses proches.

    -Mais Grace, ils n'habitent pas Camelot ?

    -Si, mais je n'ai pas bien le choix... Et puis, je l'ai promis à Tristan.

    -Alors tu nous abandonne encore ?

    Je sentais la tristesse dans sa voix ainsi que la déception. Mais je la rassura.

    -Ne t'inquiète pas. Je serais bientôt de retour. A plus tard, mon amie.

    -Bonne chance.

    -Pouvez-vous me préparer un cheval ? dis-je en m'adressant au soldat.

    -Non, Mademoiselle. Votre trajet sera effectué depuis le port de Mélorah, au Nord. Nous allons vous accompagner.

    -Parfait. Au revoir Valérica. A bientôt, Catherine, j'espère.

    -Oui.

    Je suivis le garde et nous partirent avec quatre autres soldats. Le port n'étant qu'à quelques kilomètres à peine, nous y sommes allés à pied. Il était, en quelque sorte, au milieu de nulle part, sans aucune habitation autour, exceptées une ou deux fermes ça et là. Le capitaine de l'équipage, Jasper, un homme de mon âge, nous accueillis à notre arrivée. On monta sur le plus grand bateau qu'il avait baptisé "La Fée des Quatre Vents" (en référence à la Rose des Vents) et le voyage commença. La nuit tomba rapidement et les Magiciens éclaireurs furent appelés pour éclairer l'eau. Des chambres nous furent attribuées mais je refusa d'aller dormir et préféra rester sur la coque pour contempler le ciel étoilé. Le capitaine Jasper s'approcha de moi.

    -Pourquoi voulez-vous aller en Angleterre ?

    -Je dois retrouver quelqu'un, là-bas. C'est important.

    Il hocha la tête et se tut.

    -Vous venez d'où ? lui demandais-je.

    -Des tribus Nordiques.

    -Vous n'êtes pas de Mélorah ?

    -Non, je suis un cousin de Bordeciel. Ca fait déjà dix ans que je vis sur ces terres. Et c'est toujours aussi plaisant. Et vous ? Vous êtes d'ici ?

    -Oui. Du Néer.

    -Les Terres Froides, hein ?

    -Exact.

    -Bon. Si tout se passe bien, nous atteindrons Camelot demain, en fin de matinée.

    "Si tout se passe bien", pensais-je. Mais malgré mes doutes, il n'y eu aucun incident à déplorer. Pas de tempête, ni rien. Et comme l'avais dit Jasper, Camelot était en vue vers midi. Le bateau amarra au port et nous marchâmes quelques temps avant d'arriver à la belle capitale. Les murs du château étaient d'un blanc éclatant. Il paraissait si immense comparé au château de Walandriah ! Et si beau ! Nous passâmes les gardes postés devant l'entrée de la ville. J'étais ébahie face à la splendeur de la cité. Les femmes portaient des fruits et du linge, les hommes d'énormes seaux d'eau, des armes, des armures et les enfants s'amusaient entre eux en courant un peu partout. Instinctivement, je finis devant la porte de la maison des parents de Tristan. Soudain, j'eus peur. Qu'allais-je leur dire ? "Bonjour, madame et monsieur, je viens de traverser la Mer Mélorhienne pour vous annoncer que votre fils est mort. Au revoir !". Franchement, je ne savais pas comment leur expliquer. Mais je frappa quand même à la porte. Une jeune femme brune très belle aux yeux vert amande trahissant sa nature elfique m'ouvrit. Apparemment, Tristan n'avait pas du tout hérité du sang d'elfe de sa mère.

    -Oui ? me dit-elle.

    -Bonjour, madame, je m'appelle Grace, et...

    -Vous êtes Grace ? Grace Merphel ? Tristan m'a tellement parlé de vous ! Enchantée, je m'appelle Morgana.

    -Qu'est-ce qui se passe, chérie ? dit le père, un homme musclé dont Tristan était le portrait craché : des yeux semblables à deux crépuscules et de légères boucles châtains.

    -C'est Grace ! Tu sais, celle que Tristan n'a pas arrêté de mentionner dans ses lettres !

    -Tristan vous écrivait ?

    -Bien sûr ! Toujours !

    -Curieux, je ne l'ai jamais vu écrire quoi que ce soit. Nous avons tout de même passé cinq ans ensemble...

    -C'est vrai. Mais... où est-il d'ailleurs ?

    Aïe ! Finies, les retrouvailles, place aux dures annonces. Mon regard s'attrista.

    -Eh bien... C'est pour cela que je suis venue...

    -Nous vous écoutons.

    -Je suis désolée. Votre fils est mort...

    Ils n'en croyaient pas leurs oreilles. Morgana éclata en larmes et, son souffle diminuant, fut emmenée à l'intérieur. J'entrai en compagnie de son mari qui, lui non plus, ne voulait pas y croire.

    -Comment ? me demanda-t-il.

    -Il est mort en sauvant le monde du Sorcier Bériah. Il s'est poignardé.

    -Oh... Vous étiez là ?

    -Oui. La Grande Prêtresse Millénaire a dit : "Le moment venu, celui qui tuera le fléau devra mourir". Je savais que lui ou moi allait ne pas s'en sortir. mais ça devrait être moi, pas lui. Je n'ai plus de famille, personne ne serait venu pleurer sur ma tombe.

    -Vous l'aimiez vraiment ?

    -Vraiment.

    Personne ne reprit la parole. C'est alors que la porte s'ouvrit...et Marco apparut.

    -Grace !

    -Marco ?! Mais... qu'est-ce que...

    Sans me laisser le temps de finir ma phrase, il m'étouffa dans ses bras. Je m'écarta pour le regarder. En cinq ans, il n'avait pas changé. Ses yeux étaient toujours noirs ébène mais ses cheveux châtains étaient plus courts.

    -J'ai appris pour Tristan et Valérica m'a dit que tu étais partie pour Camelot. Alors j'ai pris le second bateau juste après toi. Je suis vraiment désolé, Grace !

    Je ne dis rien.

    -Qu'est-ce qu'on fait alors ? dit le père (dont le nom était Audric).

    -Je voulais vous prévenir que les funérailles auront lieux la semaine prochaine à Walandriah. Vous devez venir.

    Morgana s'était calmée.

    -Très bien. Chéri, prépare quelques affaires, s'il te plaît.

    Audric descendit les marches menant à la cave.

    -Merci, dit Morgana.

    -Je vous attends sur le quai. Un garde vous accompagnera.

    Je sortis de la petite maison, Marco sur mes talons. Je signala à deux soldats sur les cinq de rester aux côtés de Morgana et Audric. Nous partîmes pour le port et le couple nous rejoignis quelques minutes plus tard. Nous montâmes à nouveau sur "La Fée des Quatre Vents" et l'embarcation fit demi-tour pour Mélorah. Comme à l'aller, si l'on oublie le Requin-Fantôme qui a failli détruire le bateau en deux si on ne s'était pas hâté de s'éloigner, tout s'est bien passé. Nous avons guidé Morgana et Audric jusqu'à la capitale et je les ai confiés à Brutus, Valérica et Catherine. Je me suis rendue au Cimetière Royal où se tenaient les tombes d'Elena et de son père mais aussi celles des membres de la Cour tués : Jacob, le conseiller du Roi ; Baptiste, le Chef de la Garde ou encore Ginger, la gouvernante d'Elena. Je créa, grâce à ma magie, quelques lys blancs et roses pâle et les posèrent sur les monuments aux morts. Ces gens qui avaient été tués par ma faute parce que je n'étais pas arrivée à temps. Maman, Tristan, Serena, Elena, le Roi... Trop de gens étaient déjà morts à cause de moi. Ca devait cesser.

    -Qui va les remplacer, maintenant ?

    Je me retourna lentement. Je savais que Marco m'observait depuis quelques minutes.

    -Je n'en sais rien. Il n'ont pas de la famille ou des amis parrainés ?

    -Non, personne. Mélorah est sans souverains.

    -Qu'est-ce qui se passera si la situation reste telle quelle ?

    -Cas numéro un : les forces aux alentours l'apprennent et décident de nous attaquer dans ce cas-là, on est foutus ; cas numéro deux : on nous fiche la paix mais il n'y a ni justice ni autorité, donc... dans les deux conditions, on est foutus !

    -Traduction : trouver un souverain ou une souveraine le plus tôt possible.

    -Tout juste. Ce qui n'est pas gagné d'avance...

    -Ne t'inquiète pas, dis-je en m'approchant de lui. On trouvera.

    On se regarda dans les yeux quelques instants, puis il me prit par la taille et m'embrassa. Je le laissa faire, ça ne me dérangeait pas et de toute manière, j'en avais envie. Tristan me manquait trop, c'est vrai. Mais il était hors de question que Marco devienne un remplaçant, un bouche-trou. Jamais. Nous sommes donc restés là, presque une minute, au milieu des sépultures de la terre désolée constituant le cimetière à nous embrasser. Je me dégagea finalement pour retourner à l'auberge et laissa Marco seul. Je rentra dans la pièce principale où Valérica discutait avec un jeune garçon en robe bleu berlin. Leur discussion prit fin et le garçon prit la direction de la sortie tout en me fixant de ses yeux acier accompagnés par un sourire narquois que je trouva peu rassurant, inquiétant. La chanteuse avait l'air agacée, voire exaspérée.

    -Tout se passe comme tu veux ? je lui demanda. Qui est-ce ?

    -Un Magicien qui avait entendu parler du décès de Tristan et me disait qu'il connaissait un moyen de le ramener à la vie !

    -Pardon ?!

    -Laisse tomber ! Encore un jeune blanc-bec venu réclamer quelques pièces !

    -Attends, je suis sûre qu'il peut nous aider !

    -Tu plaisantes ! Il prendra ton argent et s'enfuira comme un voleur !

    -"Mieux vaut prévenir que guérir" !

    Puis je sortis de la pièces pour rattraper le jeune Magicien. Au loin, je le vis entrer dans une taverne et le rattrapa. Je le trouva assis au comptoir. Je ne m'assis pas, je resta simplement debout derrière lui. J'allais l'interpeller quand il me prit de vitesse et m'interrompit :

    -Bonjour, Grace. Basil, Magicien, médecin et nécromancien, à ton service.

    J'étais stupéfaite. Il avait senti ma présence instantanément ! Et comment connaissait-il mon nom ?

    -Facile : tu as tué Bériah, il est normal que je te connaisse !

    Et allez, encore un Devin voleur de pensées ! J'étais vraiment mal barrée !

    -Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? demanda-t-il en se tournant vers moi. Ses yeux bleu acier vinrent se planter dans les miens.

    Avant que je n'ai le temps de répondre, il continua :

    -Je suis vraiment ravi que tu ai rejoins la belle et grande famille des Magiciens ! Le bleu est une couleur qui te va à ravir !

    -Excusez-moi ? dis-je, incapable de comprendre sa dernière phrase.

    -Regarde !

    Il créa un miroir où je vis avec surprise que mon œil gauche était désormais bleu givré. Je ne m'en étais même pas rendue compte ! Et personne ne m'avait prévenue ?

    -Donc, poursuivit-il en faisant disparaître la glace, en quoi puis-je t'être utile ?

    -J'ai entendu dire que vous connaissiez... un Sort d'Outre-Tombe.

    -Certes. J'ai appris le décès de votre compagnon et je me suis dit que Mademoiselle Grace serait ravie de le voir renaître de ses cendres tel un Phénix !

    Ses comparaisons étaient amusantes, de plus que le feu du Phénix pourrait symboliser les deux crépuscules qui remplaçaient les yeux de Tristan.

    -Qu'est-ce que vous proposer ? lui demandai-je.

    -J'ai réussis à recréer le Sort d'Outre-Tombe, comme tu dis. C'est simple : laissez-moi jeter ce sort sur le corps de Tristan Irng et dans deux ou trois jours, il est vivant !

    -Quel est votre prix ?

    -Je ne désire rien de plus que ton bonheur et la vie de mon futur patient.

    -Je peux vous faire confiance ?

    -Absolument.

    -Suivez-moi.

    Il se leva et me suivit jusqu'à l'auberge. Quand Valérica nous aperçut, j'ai cru qu'elle allait m'étrangler. Je fis signe à Basil de m'attendre et je m'approcha de la chanteuse. Elle croisa les bras, comme une mère prête à punir son enfant.

    -Écoute, j'ai vraiment besoin de ...

    -Qu'est-ce que c'est que ça ?

    -Quoi ?

    -Ton œil ! Depuis quand as-tu un œil bleu ?

    -Oh, ça ! Je... eh bien... Mon père est un Magicien.

    -Impossible, il n'y a pas dix minutes, tu étais une brune 100% pur bio ! Ne te moque pas de moi !

    -Bon, moi non plus, je ne comprends pas bien mais je t'assure que c'est vrai !

    -Et pour lui, qu'est-ce que tu as en tête ?

    -Il dit avoir un Sort d'Outre-Tombe.

    -Grace, c'est peut-être un piège...

    -Peut-être que ça n'en est pas un. Je préfère essayer. Si c'est un imposteur, je le tuerais de mes propres mains.

    -D'accord. Sois bien prudente.

    Je retourna près de Basil :

    -C'est bon. On peut commencer.

    -Parfait. Où se trouve le corps ?

    -Euh... Venez.

    Nous sortîmes de l'auberge et descendirent dans les souterrains du château. Deux soldats gardaient l'entrée.

    -Mademoiselle Grace ? dit l'un des gardes.

    -Je viens chercher le corps de Tristan Irng.

    Ils ouvrirent la porte et nous laissèrent passer. Je n'étais jamais rentrée dans les catacombes et j'espérais que c'était la dernière fois. L'endroit sentait la mort, était affreusement sale et grouillait de bestioles bien plus dégoûtantes que de simples araignées. Je chercha le nom "Tristan Irng" sur les coffres et tomba sur le bon.

    -Puis-je ? demanda Basil.

    Je fis oui de la tête et il ouvrit le couvercle sans que je regarde. C'était trop horrible pour voir. Pourtant, Basil me prit la main et la posa sur le bras du macchabée. J'ouvris les yeux, tourna la tête et vis le corps de Tristan, parfaitement propre, comme si il dormait, sauf qu'il ne respirait pas. Il semblait si vivant. Je dû résister à la tentation de l'embrasser ou de lui ouvrir les yeux pour voir son regard crépusculaire. Je lui effleura la joue. Elle était froide. Aussi froide que la mienne. Je m'écarta du coffre et laissa Basil faire son travail. Il ouvrit un Parchemin d'Outre-Tombe et récita la formule, un coup en chuchotant, un coup à voix haute. Une lumière illumina les catacombes. Une lumière magnifique dont la couleur allait du blanc au noir en passant par le bleu, le rouge, le vert, le rose, le violet, le orange, ... tel un arc-en-ciel. La lumière descendit doucement en disparut en transperçant le cœur de Tristan. Basil rangea le Parchemin et se tourna vers moi.

    -Il devrait être sur pieds dans quelques jours.

    -Devons-nous le laisser ici ?

    -Oui, mais je vais demander ton aimable autorisation pour l'exposer dans une salle individuelle plus lumineuse.

    -Bien sûr. Je vais vous aider.

    -Je vais de ce pas demander un peu d'aide. Ce cercueil est bien trop lourd pour nous deux.

    Puis il sortit des catacombes. Je m'approcha à nouveau du coffre. J'embrassai Tristan sur le front et lui dit même si il ne pouvait pas m'entendre :

    -Bientôt, on sera à nouveau ensemble. Et nous n'aurons plus jamais à fuir.

    Basil revint avec quatre hommes qui soulevèrent le coffre et l'emmenèrent hors des souterrains. Nous montâmes les marches et rentrâmes dans le château. Je choisis une immense salle vide au rez-de-chaussée qui devait être une salle de bal vu sa grandeur. Le cercueil fut posé pile au centre de la pièce. Je remercia les soldats qui sortirent par la suite et nous laissèrent seuls, tous les trois.

    -J'espère que ça marchera, dis-je.

    -Moi également.

    -Pourquoi avez-vous tant tenu à le sauver ?

    Il poussa un long soupir.

    -Je t'ai quelque peu caché certaines choses, Grace.

    -Comme quoi ?

    -Je suis le frère de Tristan. Mon nom est Basil Irng.

    -Je sais.

    Oui, je le sais. Certes, ses yeux bleus ne ressemblaient pas du tout à ceux de Tristan, mais ses cheveux bouclés, sa voix, sa façon de parler, de sourire, de marcher. Et puis, moi qui suis désormais Magicienne, je l'ai senti quelque part.

    -Tu ne m'en veux pas ?

    -Bien sûr que non.

    -Tant mieux. Je suis heureux de savoir que je serais bientôt ton beau-frère !

    -Pardon ?

    -Oups !

    Je lui lança un regard interrogateur. Lui, mon beau-frère ? Mais pourquoi ? Et à en croire sa réaction face à sa gaffe, ça devait être... Oh, c'est pas vrai !

    -Si, Tristan avait l'intention de te demander ta main !

    -Oh mon Dieu !!

    Je laissa échapper un cri de surprise. Tristan voulait m'épouser ! Mais depuis quand ?

    -Ca fait longtemps, déjà ! Un an, au moins, qu'il m'en parle ! Je suis désolé d'avoir gaffé !

    -Mais... Mais c'est... oh, c'est fantastique... !

    -C'est pour ça aussi que je suis venu. Je ne voulais pas gâcher un si bel avenir...

    -Oh, bon sang... c'est incroyable...

    Je pleurais. Mais de joie, bien sûr. Quand Tristan sera à nouveau vivant, nous serons enfin ensemble pour toujours. Moi qui ai toujours cru que la vie ne se résumait pas aux contes de fées, j'avais (presque) tort !

    -Alors j'ai hâte de devenir ta belle-sœur ! Mais Morgana et Audric sont au courant ?

    -Aucune idée mais je pense que oui. Bon, je crois qu'on devrait le laisser.

    -Oui. Merci encore, Basil.

    -Je t'en prie.

    Puis nous sortîmes de l'immense salle, laissant Tristan regagner le monde des vivants...

    Chapitre 11 (dernier chapitre) : Vers une nouvelle vie.

    Ce jour a été le plus beau de ma vie. Il faisait un temps splendide, Mélorah était comme avant. On m'a informé que les Cloches étaient à nouveau normales. Je rentrais de la chasse sur Coline et entrais dans l'auberge quand je sentis quelque chose derrière moi. Quelque chose de plus beau que toutes les fleurs du monde. Plus précieux que toutes les pierres précieuses de Mélorah. Plus important que toutes les bêtises que font les gens tous les jours. La vie de Tristan , devant moi, dans son corps. Ses yeux animés et ouverts, qui me laissait penser que le soleil venait de se coucher alors qu'il était déjà midi. Ses boucles châtains, son visage lisse, sa peau claire, ses lèvres m'invitant au baiser. Je me jeta à son cou, ne retint pas mes larmes. Il s'écarta de moi pour me regarder dans les yeux. Ses deux soleils qui transpercent mon regard mi-brun, mi-bleu givré. Ses lèvres contre les miennes, me faisant prendre conscience de toutes les magnifiques petites choses qu'on ne remarque jamais et qui pourtant font les grandes vies.

    -Tu es là..., dis-je.

    -Ouaip. Et toi aussi.

    Je ris, j'étais la femme la plus heureuse au monde. Il s'écarta encore et posa un genou à terre face à ma tête amusée. Il sortit de sa poche un boîte bleue et argentée, l'ouvrit, découvrant une bague d'or ornée de diamants plus purs que tous ceux que j'avais déjà pu voir. Puis il me dit :

    -Grace Merphel. Est-ce que tu veux bien m'offrir ta main et ton cœur pour la vie ?

    J'ai cru mourir et vivre plus que jamais à la fois. C'était une explosion de sentiments qui parcourait mon corps tout entier. J'étais partagée entre l'amour, la joie, la fierté, la folie, l'envie, ... Je lui prit la main et lui répondit :

    -Bien sûr, mon amour...

    Il sourit de toutes ses dents blanches comme la neige qui tombe dans le Néer, se leva et m'embrassa ce qui nous sembla l'éternité.

    Tristan a retrouvé ses parents, son frère, qui étaient fous de joie de le voir. Morgana faillit s'évanouir en voyant son fils vivant, croyant qu'elle devenait folle et voyait des esprits, ce qui nous fit rire. Audric considéra Basil (qui était le plus jeune) comme un dieu, un dieu qui avait toujours veillé sur son frère. Valérica s'excusa auprès de lui car elle ne lui avait pas fait confiance.
    Tristan me prit le bras et m'entraîna derrière le château, là où se trouvait le cimetière royal. Il me cacha les yeux et me fit avancer doucement.

    -Qu'est-ce que tu fais ? protestais-je.

    -J'ai une surprise pour toi, sois tranquille !

    On avança encore un peu puis il me dit de m'arrêter. Il retira ses mains et je vis devant moi deux tombes sur lesquelles étaient gravés les noms "Lynl Merphel" et "Serena Grimitch". Tristan avait demandé à ce qu'on les enterre ici !

    -Mais... Comment... ?

    -J'ai réclamé à ce qu'on récupère les deux corps et qu'on leur offre une place ici.

    -Tu as fait ça pour moi ?

    -Pour elles, aussi. Elles méritent un bel emplacement. Il était hors de question de les laisser pourrir dans une prison ou une maison abandonnée.

    Je posa ma tête dans le creux de son épaule tout en remerciant maman pour ce qu'elle avait fait pour moi et m'excusa pour Serena d'avoir été aussi jalouse et méchante. Je les regrettais toutes les deux malgré les idioties qu'elles avaient pu commettre à mon égard. Ma mère m'avait cachée sa nature magique mais elle l'a fait pour me protéger. Serena avait tenté de m'enlever Tristan mais elle tenait à lui depuis tant d'années. Grâce à ma magie, je créa un bouquet de Néeriennes, de magnifiques fleurs blanches qui poussent dans le Néer et portent le même nom que les habitants de la région, pour ma mère et un bouquet de roses pour Serena. Nous quittâmes le cimetière après nous être arrêtés près du souverain et de sa fille défunts.

    Nous rentrâmes à l'auberge qui était pleine à craquer. Les gens dansaient, chantaient et buvaient avec une gaieté surprenante. La famille de Tristan avaient dû organiser une sorte de petite fête pour le retour de leur fils. La bière coulait à flots, Valérica chantait comme jamais, ... Nous nous joignîmes aux réjouissances avec enthousiasme, plus heureux que jamais.

    Quelques jours plus tard, les parents de Tristan ainsi que Basil nous annoncèrent qu'ils allaient emménager à Walandriah, ce qui ravit Tristan (et moi également). Catherine entra à l'école de Médecine de la ville, Brutus crut rêver quand on lui offrit d'immenses cargaisons de bière et d'alcools plus rares les uns que les autres. Et Mélorah restait sans gouverneurs. Jusqu'à ce que les Ducs du pays débarquèrent à la capitale pour en parler. Ils nous convoquèrent, moi et Tristan et nous assîmes tous ensemble dans la salle des banquets du château. Le Duc d'Arphel prit la parole :

    -Mes amis, l'heure est quelque peu grave. Nos terres sont sans souverains et bientôt, les forces ennemies chercheront à nous détruire.

    -Alors qui suggérez-vous ? demanda la Duchesse d'Orlamd, une ville du Sud.

    -Nos deux héros ont été largement recommandés.

    -Pardon ?! dis-je.

    -Excusez-moi Duc, intervint Tristan, mais une telle responsabilité...

    -Pourtant, vous êtes les mieux qualifiés pour cette mission. Vous nous avez prouvés vos valeurs en battant le terrible Sorcier Bériah.

    -Je ne sais pas si nous sommes prêts à prendre une pareille décision , mon Duc, dis-je.

    -Nous n'avons pas l'éternité pour vous laisser réfléchir ! protesta le Duc de Dragologia, un vieil homme à la longue barbe grise et aux yeux jaune miel.

    -Eh bien..., continua Tristan. Veuillez nous excuser quelques minutes, mes Ducs et Duchesses.

    Tristan m'entraîna derrière un mur. Il paraissait très sérieux.

    -Qu'est-ce qu'on fait ? me demanda-t-il.

    -Comment veux-tu que je le sache ? On n'a pas le temps de réfléchir mais je ne sais pas si je suis digne d'être Reine !

    -Bien sûr que tu en es digne ! Le Roi et la Princesse te dirait la même chose !

    Nous fûmes soudain interrompus par des cris de surprise venant des Ducs et Duchesses. Une grosse flamme rose était apparue. Un rose que je reconnaîtrai entre milles. Le même rose que les yeux de la Princesse Elena. Son esprit apparut, et dans un éclat bleu, celui de son père. La Fée prit la parole :

    -Grace, Tristan. Vous avez sauvé Mélorah de la menace de Bériah. Nous vous sommes tellement reconnaissants !

    -Mais par ma faute, Bériah a pris vos vies ! dis-je.

    -Non, Grace, poursuivit le Roi. Tu n'y es pour rien. Ma vie durait depuis trop longtemps et ma petite Elena souhaitait mourir avec moi. Je vous félicite d'avoir sauvé Mélorah.

    -Tristan a failli y laisser la vie, nous avons donc aidé Basil à le ramener.

    -Vous m'avez ramené à la vie ? demanda Tristan.

    -En tout cas, nous nous sommes partagé le travail avec ton frère. Seul, il n'aurait sans doute pas réussi.

    -Ah, ben merci, alors !

    -Grace, Tristan, je vous lègue mon trône. Vous êtes dignes de porter les titres de Roi et Reine de Mélorah désormais.

    -Je vous en prie, dit la Princesse avec un superbe sourire, acceptez notre offre. Rien ne saurait nous faire plus plaisir que de vous voir nous succéder !

    Nous nous regardâmes, Tristan et moi, et après quelques instants, dirent :

    -C'est d'accord.

    -Oh, merci ! Merci infiniment !! Nous vous souhaitons tout l'amour, tout le bonheur et toute la chance du monde ! Adieu !

    Puis, juste avant de disparaître, nous firent une révérence, en l'honneur des deux défunts que nous regrettions amèrement.
    Les Ducs et les Duchesses n'en revenaient pas. Le Duc d'Arphel dit, après un long silence :

    -Eh bien, je suppose que la décision est la même. Mesdames et Messieurs, permettez que je vous présente Grace Merphel et Tristan Irng, Roi et Reine de Mélorah !

    Les applaudissements envahirent la salle. Le Duc d'Arphel s'approcha de nous avec un grand sourire et posa sur la tête de Tristan une couronne d'or et sur la mienne, un diadème d'argent.

    Les festivités furent préparées le jour même. A ma plus grande joie, Valérica avait engagé une chorale d'enfants et avait décidé de la faire chanter pour la fête. Brutus réclama les plus grands cuisiniers des alentours pour préparer un incroyable banquet. Nous avons fait d'une pierre, deux coups : nous avons à la fois célébré le début de notre règne, mais nous nous sommes mariés au même moment. Enfin, c'était plutôt une surprise. En résumé, quelques jeunes filles et femmes m'ont emmenée de force dans une chambre du château et m'ont habillée d'une longue robe blanche au décolleté doré et argenté. Elles m'ont chaussée de souliers blancs incrustés de diamants. Elles ont fixées à mes oreilles de belles boucles d'oreilles d'argent et m'ont parée d'un grand collier assorti ainsi qu'un bracelet pareil au poignet droit. J'étais coiffée du diadème et elles ont insisté pour me faire une tresse. Je me regarda dans une glace. Je ne pensais pas me vêtir un jour d'une telle façon. Sans me vanter, j'étais impressionnée d'être aussi belle. Puis, Valérica fit entrer un homme qui n'était autre que mon père. Il m'observa de la tête aux pieds en souriant.

    -Tu es magnifique, ma chérie.

    -Bonjour, papa.

    Il m'ouvrit ses bras et je ne pus m'empêcher de m'y jeter. J'avais pris conscience qu'il était tout ce qui me restait et que je devais profiter de lui tant qu'il était encore là. Je m'écarta et il m'offrit son bras. Je l'agrippa et rejoignis la joyeuse foule au dehors. Une fois sortis, deux petites filles jetèrent des colombes, des fleurs et des rubans dans tous les sens. Tristan devait avoir subi le même kidnapping que moi car il était vêtu différemment : il portait une longue tunique blanche sous une veste bleu azur. Il était chaussé de bottes blanches et son regard était plus crépusculaire que jamais. Quand il me vit, il ouvrit légèrement la bouche de surprise et sourit. Je lâcha mon père et m'avança vers lui. C'est Marco qui allait nous unir, ce qui nous faisait très plaisir. Il commença à parler :

    -Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, les enfants et les vieillards ! Nous sommes réunis ici en ce 11 décembre pour unir ensemble la Reine Grace Merphel et le Roi Tristan Irng. Grace, souhaitez-vous aimer jusqu'à la mort avec toute votre passion et votre amour cet homme, ici présent ?

    Il parlait très bien, ce qui nous étonna tous un peu. Je répondis, luttant contre l'émotion.

    -Oui.

    -Tristan, voulez-vous passer le restant de vos jours à aimer cette femme ici présente avec tout votre amour et votre passion.

    -Oui, répondit-il en redressant les épaules, comme si il était fier de m'épouser.

    -Alors je vous déclare ici et maintenant unis par les liens du mariage et de l'amour !

    La foule applaudit, cria, des sourires aux lèvres. Marco chuchota quelque chose à l'oreille de Tristan. Il me regarda, me souleva et m'embrassa. Après la cérémonie, les gens vinrent nous féliciter, quelques enfants offrirent des fleurs, la chorale chanta et le banquet continua. Brutus avait fait un travail époustouflant. Les plats étaient tous plus renversants que les autres. Les petits chanteurs de Valérica étaient incroyablement doués. A la fin des célébrations, nous eûmes le droit à un spectacle impressionnant. Des Magiciens (comptant parmi eux mon père et Basil) se sont réunis et ont lancés quelques sorts dans le ciel. Il s'agissait d'un feu d'artifice magique. Petite, j'avais eu l'occasion d'en voir un et ça m'avait marquée. Ainsi, des fleurs de feu, de glace, de lumière, de neige se créèrent au-dessus de nos têtes. C'était absolument magnifique. Puis la fête prit fin, à notre grande déception, car nous ne nous étions jamais autant amusés. Tout le monde rentra chez soi et Tristan et moi rejoignirent notre nouvelle chambre. Elle était immense. Le lit aussi était si grand qu'on pourrait y faire dormir six personnes au lieu de deux. Les murs étaient recouvertes de superbes tapisseries. Je m'avança vers le lit et caressa les nombreux draps et couvertures. Ils étaient d'une douceur incroyable ! Je me tourna vers Tristan et lui sourit. Il me rendit mon sourire et s'approcha de moi en plantant ses deux soleils couchants dans mes yeux. Il déboutonna les boutons dans le dos de ma robe.

    -Si la Reine veut bien se donner la peine de s'offrir à moi.

    Je ris et notre première nuit en tant que souverains fut sans doute la plus belle de toutes.

    Le lendemain, nous fûmes plus que surpris en voyant le petit-déjeuner dans la salle des banquets : des chocolats, des petits pains, des crèmes, des fromages, des fruits, ... C'était fantastique ! Nous nous assîmes et un jeune garçon entra en faisant une révérence.

    -Mon Roi Ma Reine, dit-il d'une voix enjouée, j'ai le plaisir, moi Vilaréon le Bouffon de vous souhaiter un bon appétit !

    Nous lui firent un signe de tête et attaquèrent notre repas. Cette table me semblait un peu grande pour deux personnes et j'espérais qu'elle se remplirait au fil du temps. Après ce festin, un soldat vint nous annoncer une chose importante : il fallait répartir les rôles de la Cour. En gros, choisir un nouveau conseiller, un nouveau Chef de Garde, etc, ... Je descendis donc accompagnée de Tristan et nous nous installâmes sur les trônes. Un homme entra, s'inclina et sortit un rouleau de papier. Il commença à parler tout en lisant :

    -"En raison des récents évènements : meurtres des précédents souverains et du personnel de la Cour, la Reine Grace Irng Merphel et le Roi Tristan Irng sont priés de bien vouloir choisir leurs remplaçants".

    Il s'inclina de nouveau et quelques soldats entrèrent.

    -Ma Reine, dit l'un d'entre eux, Mon Roi, qui devons-nous aller quérir ?

    Je regarda Tristan et me leva en prenant la parole :

    -Mes chers soldats, je vous demanderai de bien vouloir m'amener ici : Valérica Westood, Brutus Sable-Blanc, Catherine Sable-Blanc, Marco Vernin, Seran Merphel, Morgana et Audric Irng ainsi que Basil Irng.

    -Bien, Ma Reine !

    Sur ce, ils quittèrent le château et revinrent quelques minutes plus tard avec toutes les personnes demandées. Ils s'inclinèrent.

    -Mes amis, dit Tristan, nous vous avons appelés pour vous attribuer les rôles de la Cour !

    A voir leurs têtes, ils semblaient tous très étonnés.

    -Nous souhaiterions, continua-t-il, que Brutus Sable-Blanc soit notre cuisiner attitré !

    Suite à cette annonce, Brutus eut un grand sourire qui voulait dire "Oui, avec plaisir !".

    -Ce serait avec plaisir, Majestés, dit-il.

    -Continuons, dis-je, notre Chef de Garde Royale sera Marco Vernin !

    -Ce sera un grand honneur, ma Reine ! lança ce dernier.

    -C'est avec plaisir que nous nommerons Valérica Westood chanteuse attitrée de la Cour !

    -Rien ne saurait me rendre plus heureuse, Votre Altesse ! dit-elle.

    -Notre médecin sera Catherine Sable-Blanc !

    Cette dernière fit un petit signe de tête en souriant.

    -Seran Merphel, je vous nomme Conseiller Royal !

    Il me sourit.

    -Morgana Irng, Audric Irng, si vous le souhaitez, je vous nomme gardiens de la Tour du donjon !

    -Avec grand plaisir, Majestés !

    -Et enfin, Basil Irng, je vous nomme Mage de la Cour.

    -C'est parfait, Sire. Je vous remercie infiniment.

    Les nouveaux membres de la Cour s'inclinèrent encore puis quittèrent la salle pour vaquer à leurs inédites occupations.

    La journée se résuma par un nombre incalculable de papiers à signer et de lettres à écrire. La Haute-Reine Elisif La Juste de Bordeciel ne put malheureusement venir festoyer quelques jours mais nous félicita gracieusement. Le soir arriva enfin, j'étais épuisée. Être Reine ne m'enchantait pas vraiment. Disons plutôt que je ne voulais pas être traitée comme telle. J'aimerai que mes amis et ma famille continuent de m'appeler "Grace" et non "Ma Reine", "Votre Majesté", et patati et patata... La chasse, l'aventure ; tout ça me manquait terriblement. Je fis les cents pas sur le grand et vertigineux balcon de ma chambre à me demander si il y existait un moyen de me sortir de là. "Il y a toujours une sortie à l'entrée", disait la Grande Prêtresse Millénaire. Enfin, je me suis portée volontaire pour le rôle de Reine de Mélorah, je n'ai plus qu'à en assumer les conséquences. Je tournais encore en rond quand mon père entra et me rejoignis sur le balcon.

    -Tu apprécies ta nouvelle vie ? me demanda-t-il.

    -Pas spécialement... Et toi ?

    -Etre ton conseiller ne pouvait pas me faire plus plaisir. Pourquoi es-tu si malheureuse ?

    -La vie est ennuyante, morose, triste.

    -Ne t'en fais pas. Je toucherai un mot à Valérica et la famille Irng.

    Le silence rompit la discussion. Après un long moment, il dit :

    -Je suis si fier de toi. Ta mère le serait aussi.

    Je ne dis rien et me laissa emporter par le soleil qui se couchait qui ressemblait comme deux gouttes d'eau aux yeux de mon mari. Mon père quitta le balcon puis la pièce et je fut seule encore jusqu'à ce que Tristan me rejoigne.

    -Elle n'est pas belle la vie ?

    -Elle l'était plus avant...

    -Vraiment ? Ca ne te plaît un festin à chaque repas, des tissus de luxe et tout le reste ?

    -Pas énormément. On était plus libres avant.

    -L'aventure te manque ?

    -Tout me manque.

    -Tu es ma femme. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour combler ce "tout". Je te le promets...

    Il planta ses deux soleils dans mes yeux, m'embrassa puis retourna son regard vers le vrai soleil qui partait se coucher...

     

     

         

                                                                                                 FIN

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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